Essai Yamaha Tracer 700: ne cherchez plus!

Essais Bruno Wouters
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Et si la moto idéale était facile mais amusante, abordable mais polyvalente? La Tracer 700 pourrait bien correspondre à cette définition. Quoi de plus réjouissant?

Texte Bruno Wouters

La fuite en avant de certains constructeurs mènerait-elle à une impasse? Les machines de plus en plus chères, puissantes et sophistiquées, pourraient bien à terme ne plus trouver beaucoup d'acquéreurs. Heureusement, ces mêmes constructeurs, confrontés à la raréfaction de leur clientèle (le motard vieillit et ne se renouvelle guère: les années 70' sont bien loin de nous, aujourd'hui), s'échinent à multiplier de plus accessibles propositions. Si certaines commencent à dater, comme la Suzuki V-Strom ou la Kawasaki Versys, d'autres n'hésitent pas à renouveler le genre, comme la très prometteuse Yamaha Tracer 700. Yamaha a eu le nez particulièrement fin avec ses MT-09 et MT-07, dont le succès ne faiblit pas depuis leurs présentations respectives. Roadster sans concession, la MT-09 a été bien vite rejointe par une variante plus exploitable au quotidien, la Tracer 900. En toute logique, la MT-07 suit le même chemin, pour se muer en Tracer 700. Au vu des nombreuses Tracer 900 croisées sur les routes des Dolomites lors de notre essai, gageons au terme de notre journée à son guidon que la Tracer 700 connaitra le même succès!

Déclinaison de plateforme

Le constructeur d'Hamamatsu reprend à son compte les recettes éprouvées du monde automobile: voici, avec la Tracer, la troisième déclinaison de la plateforme CP2 (pour bicylindre crossplane) apparue avec la MT-07 en 2014, déclinée dès 2015 en XSR 700 au style plus néo que rétro. La réussite semble au rendez-vous, avec déjà 95.000 modèles produits, tant au Japon (MT-07) qu'à l'usine MBK située en France (XSR700), d'où sortira d'ailleurs la Tracer 700. La Tracer est en effet un pur produit européen, pensé et développé aux sièges Yamaha des Pays-Bas et d'Italie.

En définissant sa vision du «sport touring», le constructeur japonais est parti du constat que la catégorie en question n'était pas si sportive que ça, avec des machines plus encombrantes qu'agiles. Yamaha redéfinit donc le créneau avec l'accent porté sur l'agrément moteur et l'agilité pour l'émotion de conduite, le confort et les aspects pratiques pour l'émotion du voyage. On a vu ce que ça donnait avec la Tracer 900, vendue à plus de quinze mille exemplaires depuis janvier 2015, et phagocytant dans la foulée 35% du segment. Ceci dit, la Tracer 900 ne trouve en dessous de quarante ans que 24% de sa clientèle, un pourcentage que la Tracer 700 devrait porter à 55%, d'après les projections de Yamaha. Le Japonais vise en effet un profil plus jeune, voire même débutant, adepte du grand écart entre le commuting citadin et l'escapade estivale.

Du sport, du tourisme

Partageant un maximum d'éléments communs, chaque déclinaison de la plateforme CP2 possède son identité propre, appuyée par un slogan dédié: Dark Side of Japan pour le roadster, Fasters Sons pour la Sport Heritage, Roads of Life pour la Tracer, appelée à parcourir le monde et ses routes. La Tracer se distingue bien entendu par son accueil à bord plus généreux. La selle redessinée en une pièce se relève de trois centimètres et se voit adjoindre deux poignées de maintien pour le passager. Le guidon se rehausse très sensiblement et se rapproche quelque peu, changeant complètement la position de conduite, nettement plus confortable et apte aux longues randonnées.

La protection fait l'objet de toutes les attentions, avec un haut de carénage descendant le long des flancs du radiateur. Un bon point, la bulle, réglable sur 64 millimètres via deux molettes accessibles à l'arrêt. L'éclairage est prodigué par deux projecteurs au regard acéré, rattachant immédiatement par leur contour la 700 à sa grande sœur la 900. De très stylées protections de mains donnent sa personnalité à la Tracer. On eut bien vu des clignotants LEDs les souligner d'un trait lumineux, mais c'était sans compter le verdict des cost-killers! Va donc pour de classiques boîtiers, bizarrement accrochés par en dessous: on se consolera en se disant que ce sera toujours mieux que l'infâmante disposition des mêmes éléments rapportés sur les flancs de la Tracer 900… Les prises d'air latérales ne font pas que de la figuration: l'une ventile le régulateur, l'autre l'ECU et l'unité ABS.

Tourisme oblige, le réservoir gagne trois litres, soit maintenant dix-sept, et ses flancs s'ornent de grips en caoutchouc à hauteur des genoux. Sous les yeux du pilote, le guidon s'enrichit d'un raidisseur, idéal support d'un éventuel accessoire comme un GPS, mais surtout le combiné instruments, hérité de la MT-07, migre vers l'avant dans une position nettement plus orthodoxe que sur le roadster, avec pour corollaire immédiat une lecture de celui-ci nettement améliorée. Ça change tout! On ne croule pas sous les infos, mais l'essentiel s'y retrouve: compteur, compte-tours, odomètre et deux trips partiels, horloge, jauge à essence, températures moteur et extérieur, vitesse engagée, consommations moyenne et instantanée. L'indispensable, hélas uniquement accessible via les boutons placés au centre du combiné. Sur une moto à la vocation tourisme, on aurait aussi apprécié d'y trouver l'autonomie restante.

5cm qui changent tout

Nous avons détaillé le plumage, observons maintenant le ramage. Peu d'éléments évoluent ici, hormis, et ça saute aux yeux, le bras oscillant en aluminium qui grandit de cinq centimètres, allongeant d'autant l'empattement et ça, les amis, ça change tout, comme nous le verrons plus loin! La fourche est reconduite in extenso, seuls les ressorts et les settings varient pour s'adapter au nouvel équilibre des masses. L'amortisseur arrière est rallongé aussi et la cinématique des biellettes adaptée pour augmenter de douze millimètres le débattement de la roue arrière. L'angle de chasse gagne un demi degré, à 25°, tandis que le système de freinage est intégralement reconduit.

Le bouilleur, qui fait tout le charme de la MT-07, n'évolue que pour répondre à la norme Euro 4, sans dommage (ou bénéfice!) sur la puissance ou le couple développés par le twin de 689cc. Le catalyseur est modifié, tout comme l'admission d'air et la programmation de l'ECU.

Argument de poids (oui, le jeu de mots était facile!) de la Tracer, son poids, justement! La MT-07 faisait très fort en ce domaine et la Tracer, basée sur la même architecture, relève le défi de fort belle manière avec ses 196kg tous pleins faits, le cadre comptant pour 16kg, le moteur pour 53kg dans l'ensemble.

En statique, la Tracer rentre un peu dans le rang, certes moins originale que sa petite sœur «Dark Side of Japan», mais à l'évidence mieux pensée pour tailler la route. La qualité perçue est bien présente, avec un savant équilibre entre un budget maîtrisé mais une réelle qualité de fabrication. Tout s'ajuste soigneusement, les surfaces laquées jouent avec les plastiques grainés, et des détails comme les platines de repose-pieds, le bras oscillant, les protège-mains ou la petite grille nichée entre les phares flattent l'œil. D'accord, le garde-boue avant ou la fourche paraissent un peu cheap, but who cares, s'ils font bien leur boulot? Après, on pourra discuter de la poupe et du dessin du support de plaque: c'est bien joli tout ça, limite tuning, mais quand il pleut? Efficace, vraiment?!? Au guidon, la position de conduite n'appelle aucun reproche. Intuitive, elle laisse percevoir une prise en main facile et rassurante. La selle, à 835 millimètres du sol aurait pu culminer quelques précieux millimètres plus bas, mais ménage la flexion des genoux. Le bruit moteur semble moins expressif qu'avec la MT-07: le passage à l'Euro 4? Nous retrouvons par contre immédiatement et avec beaucoup de plaisir le caractère joyeux du bloc calé à 270°.

196kg de pur bonheur

Généreux et volontaire, il accepte de reprendre dès 2.000 à 2.500tr/min, mêmes sur les plus hauts rapports. Avec une puissance maxi atteinte à 9.000tr/min et une zone rouge à 10.000, la plage de régime exploitable ne souffre guère la critique, d'autant que le couple reste généreux tout au long de la courbe. C'est un des points forts de cette machine: pas besoin de se tracasser pour trouver le bon rapport: c'est toujours le bon rapport! La Tracer reprend à chaque fois avec bonhomie, avec bien entendu plus de rage et de réactivité dans les hauts régimes. Il ne faudra bien sûr pas hésiter à jouer du sélecteur pour en tirer la quintessence, comme notre bande de furieux l'a pratiqué dans les épingles des Dolomites, passées en seconde, voire parfois en première.

L'allongement de l'empattement donne déjà une bonne indication du comportement routier. Si la MT-07 amusait par ses prestations, elle manquait toutefois de rigueur, et ses suspensions marquaient régulièrement le pas. La Tracer a préservé cette merveilleuse agilité, mais avec un comportement qui ne prête jamais le flanc à la critique. Impériale de stabilité, elle ne se désunit jamais et permet toutes les improvisations, bien aidée par son poids contenu et sa monte pneumatique, confiée à des Michelin Pilot Road 4 qui offrent un grip impressionnant et une confiance absolue. Il est étonnamment facile de rouler vite à son guidon, tant elle se montre facile et intuitive.

Rouler vite, mais sans jamais se faire peur, c'est le sentiment qui dominera au terme de cet essai: le fun sans les frayeurs. Jamais la machine ne prend le pas sur l'homme, jamais le pilote ne se sent débordé. Et ne croyez pas que ça se paie par un rythme tranquille. Toutes les motos du continent semblent s'être donné rendez-vous dans les Dolomites (tous les cyclistes aussi, et au passage quelques fameusement belles voitures!), mais pas une d'entre elles n'a roulé plus vite que nous! Peu sans doute, se sont autant amusés que nous! Certains de nos collègues se sont plaints d'amorces de dribblage de la roue arrière lors de rétrogradages un peu virils. Ce ne fut jamais mon cas, mais j'avoue que je «tapais» comme un sauvage dans le frein arrière en rentrant mes rapports, histoire d'asseoir la moto et d'éviter de faire plonger la fourche. Résultat, des transferts de poids limités et une vitesse de passage en épingle réjouissante, avec si nécessaire une très légère dérive de la roue arrière en sortie, dépendant de l'angle de la machine et du moment de la remise des gaz.

Conclusion

Près de 300km de pur bonheur, à enchainer huit cols et un nombre incalculable d'épingles à cheveux! Des critiques? Il va falloir chercher… En pinaillant, on relèvera qu'elle réclame un effort financier conséquent face à une Honda NC750X (7.199€), une Kawasaki Versys 650 (7.499€) ou une Suzuki V-Strom 650 (8.199€), mais le rapport prix-agrément reste sacrément en faveur de la Yam, et ce n'est pas la consommation, mesurée au combiné d'instruments, qui va noircir le tableau: 4,8l/100km affichés! Mes fesses se plaignent bien un peu de la dureté de la selle après neuf heures de route, et le duo sera-t-il aussi amusant que le solo? L'accueil passager, certes plus abouti que sur la MT-07, semble encore perfectible. Et je reste nostalgique des peintures d'antan: les bécanes des années '70 avaient une autre gueule que celle amenée par les sempiternels rouge ou bleu foncés métallisés, ou a fortiori le triste noir. Mais tout ça, c'est parce qu'il faut bien lui trouver quelques défauts, parce que pour le reste, des machines pareilles, perso j'en redemande!