Ducati Diavel, le diable au corps

Essais Motos Christophe Jardon
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Avec son monstrueux pneu arrière de 240mm, ses formes de bodybuilder et son long empattement, la Ducati Diavel ne semble pas spécialement taillée pour la conduite « active » sur les petites routes de montagnes. On l’imagine conçue pour les longues nationales rectilignes. Il n’en est rien.

Comme la plupart des nouveautés actuelles, la Ducati Diavel a fait l’objet d’un « teasing » de longue haleine. Ses formes ont été dévoilées petit bout par petit bout, presque centimètre par centimètre. Si bien qu’au final, elle n’a pas surpris grand monde. Personnellement, elle m’a même (presque) laissé indifférent… jusqu’à la descente du bus qui nous mène au lieu choisi par Ducati pour présenter sa dernière (grosse) nouveauté. Villa Padierna Hôtel, à quelques kilomètres de Marbella. Quatre Diavel Carbon nous accueillent sous le soleil andalou. On aime ou on n’aime pas, mais difficile de rester insensible face à un tel monstre et à ses formes hors normes.

 

Diabolique

En dialecte de Bologne, diavel signifie diable. Sur l’échelle de la cruauté et de la méchanceté, on est donc quelques échelons plus haut qu’avec les Monster, apparues il y a déjà 20 ans. Dans la gamme Ducati, les Monster sont aujourd’hui les plus gentilles des roadsters, « devancées » par la Streetfighter. L’arrivée de la Diavel pourrait remettre un peu d’ordre dans cette hiérarchie. Comment un engin comme la Diavel, plus proche d’un custom américain, pourrait-elle concurrencer les Monster ou la Streetfighter? La réponse est dans ces pages…

Reprenons depuis le début. Le monde de la moto évolue. Les sportives font partie des motos en perte de vitesse (sur le plan des chiffres de vente, pas des performances pures !). Pour un constructeur à l’ADN sportif comme Ducati, il est important d’évoluer avec son temps. Certaines marques de voitures ont ouvert la voie, et notamment Ferrari, avec l’étonnante FF une quatre places à quatre roues motrices. La Ducati Diavel répond au même constat : tout évolue. Et chaque marque est libre de proposer de nouveaux produits innovants, à condition qu’elle respecte ses principes fondamentaux. Chez Ducati, ceux-ci sont bien connus : le caractère italien, l’authenticité et les performances sont les incontournables de la marque.

Sur la Diavel, cet ADN a été mis à une nouvelle sauce : une moto longue et basse aux accélérations «diaboliques », mais aussi très agile. Pour les accélérations, la maison a ce qu’il faut avec le moteur Testastretta 11°, directement issu de la superbike. Il développe 162ch et 127,5Nm de couple, soit 12ch de plus que la déjà très performante Multistrada 1200. Ses courbes de puissance et de couple sont d’ailleurs plus de celles de la 1198. Verdict du chrono : 2,6 secondes pour passer de 0 à 100km/h ! Un moteur Desmodromic performant, mais également endurant, les matériaux utilisés, la gestion de la température moteur ainsi que l’efficacité de la combustion permettant d’espacer les entretiens majeurs (et le réglage du jeu aux soupapes) de 24.000km.

 

Fameux train arrière

Comme les nouvelles Monster, le cadre mêle le treillis en tube d’acier à des platines en aluminium moulé sous pression. Si la fourche Marzocchi de 50mm et les étriers monoblocs Brembo à fixation radiale impressionnent, c’est surtout le train arrière de la Diavel qui fait dans la démesure. Première particularité, la longueur du monobras oscillant : 635mm, soit le plus long de l’histoire de la marque. Il travaille en collaboration avec un amortisseur (Sachs) positionné quasi à l’horizontal sous le moteur, encore une « première » sur une Ducati (à l’exception des MotoGP). Même le frein arrière se fait remarquer avec son étrier à deux pistons de gros diamètres. Mais tout ça n’est rien à côté du choc que crée la vision du pneu arrière. Largeur : 240mm ! On ne voit quasi que lui. Fruit d’un long travail de développement assuré par Pirelli, il est tout simplement le pneu orienté sport le plus large du marché. A ceux (et ils sont nombreux) qui s’imaginent qu’avec un pneu de cette dimension, aucune machine ne peut prétendre à un comportement routier sportif, les gars de Ducati et de Pirelli répondent en chœur : « Essayer… Vous verrez bien ! »

Enfin, petit détail esthétique, le porte plaque «près de la jante» monté sur le bras oscillant qui a offert aux designers une grande liberté dans l’élaboration des lignes générales et des feux arrière en particuliers.

Une sportive carénée, un custom long et bas (type Harley-Davidson Softail) et une Monster… Autant de styles esthétiques différents que l’équipe du design a voulu rassembler en dessinant la Diavel. Le résultat est diabolique : massif sans être pataud, musclé sans être exubérant, impressionnant sans être excessif. Une chose est sûre : en l’observant à l’arrêt, impossible d’imaginer son potentiel dynamique.

 

Tout sauf une enclume !

«En la voyant, on s’imagine qu’elle va rouler comme une enclume. C’est vraiment tout sauf ça !» Voilà le genre de réflexions qui alimentent les discussions entre les essayeurs après 200km passés au guidon de la Diavel…

Un guidon plutôt bien positionné d’ailleurs, qui offre une position de conduite agréable et pas du tout typée (que ce soit custom ou roadster). Même remarque pour la selle comme pour les repose-pieds. Le triangle selle/repose-pieds/guidon a visiblement fait l’objet d’une attention particulière. L’assise est assez basse (770mm), mais au cas où, le catalogue des accessoires propose une selle touring abaissée de 20mm. Le guidon est large. Il permet de manœuvrer aisément la bête, bien aidée par son poids limité (210kg) et son centre de gravité placé bas. La clé de contact reste en poche. Elle est reconnue automatiquement par l’unité de contrôle électronique.

De l’électronique présent en force et à tous les étages sur la Diavel : poignée de gaz (ride by wire), traction contrôle, ABS Bosch déconnectable, choix du mode de conduite (touring, sport, urban), écran TFT… Bienvenue au guidon d’une machine moderne.

Le tableau de bord est divisé en deux parties. Un écran LCD classique (compte-tours, tachymètre, température moteur) au niveau du guidon et un autre sur le réservoir. Celui-ci est un TFT semblable à la plupart des smartphones. C’est lui qui propose les différents modes de conduites, les infos relatives à la consommation ou à la température extérieure ainsi que les différents réglages (sensibilité du traction contrôle, paramétrage personnel des modes de conduites…). Compliqué ? Pas tellement. Avec un peu d’habitude, c’est même relativement simple.

 

Nouvelle souplesse

Pour une Ducati, la mécanique se révèle d’une grande souplesse, notamment par rapport à la Multistrada. Le Twin reprend ici à partir de 2.000 tours jusqu’en cinquième, voire en sixième. Une différence qui ne s’explique que par la longueur des échappements. « Sur la Multistrada, certaines contraintes techniques limitent la longueur des tubes d’échappement, comme la présence de la béquille centrale ou des valises latérales. Sur la Diavel, nous n’avons pas rencontré ce type de problème. Les échappements sont plus longs, ce qui offre plus de souplesse au moteur. » Cela dit, cette souplesse reste relative, et il préférable de garder une main sur l’embrayage lors des évolutions à basse vitesse.

Autre différence avec la Multistrada (au moteur identique), la chaleur du moteur, ou plutôt son refroidissement. Sur la Diavel, les radiateurs sont positionnés latéralement de part et d’autre de la machine. Malgré une pompe à eau de plus grand débit, nous avons noté une température d’eau plus élevée (environ 10°) sur la Diavel que sur la Multistrada de notre guide après un parcours identique avalé au même rythme.

Un rythme plus sportif d’ailleurs, voire «rallye» sur une route comme on les aime, quasi déserte, faite d’une succession de virages en montée. Un parcours «sélectif» à l’adhérence limitée sur lequel la Multistrada n’a jamais réussi à prendre le meilleur sur la Diavel, ce qui en dit long sur les qualités dynamiques de cette diabolique Ducati.

Bien sûr, avec son gros boudin arrière, elle ne se balance pas dans les épingles avec la facilité d’un trail monocylindre, mais on reste bluffé par ses capacités à virer. Dans les ronds-points ou les virages serrés, il faut légèrement forcer la Diavel pour la faire basculer, mais en s’aidant du guidon, l’effort reste minime. Courbes rapides, virages moyens… le rythme augmente et la Ducati continue à surprendre. Même la garde au sol étonne. Les repose-pieds finissent tôt ou tard à racler le bitume, mais il faut déjà « y aller », comme on dit. La stabilité en courbe est également très rassurante, comme le fait que la Diavel n’a aucune tendance à élargir les trajectoires ou qu’elle supporte admirablement les freinages (tardifs) sur l’angle. Dans l’ensemble, elle apparaît même plus naturelle que les Monster ou la Streetfighter.

 

Mi-sportive mi-démon

Vu les étriers monoblocs avant et connaissant la taille des pistons de l’étrier arrière, on s’attendait à un freinage de première qualité en termes de puissance. Il est également très progressif et bénéficie de l’aide d’un ABS très performant. Un mot encore sur les suspensions, suffisamment souples pour assurer un bon confort, mais aussi assez fermes pour garantir une excellente tenue de route. 

On le voit, tous les éléments incitent à tirer le meilleur profit de la mécanique. Celle-ci ne demande pas mieux, et se montre particulièrement généreuse entre 4.000 et 9.000 tours, où sa puissance et sa sonorité rappellent naturellement la superbike 1198 de la marque. La poussée est plus que généreuse, la réponse à la poignée de gaz immédiate. En mode sport, les 162ch se bousculent et martyrisent le gros pneu Pirelli. En cas de mauvaise adhérence, l’antipatinage ne tarde pas à entrer en scène. Il fonctionne remarquablement, mais manque par moment de discrétion et de nuance. En clair, il coupe littéralement le moteur, ce qui peut s’avérer déstabilisant dans certaines circonstances. Un inconvénient minime par rapport à son efficacité générale et au gain qu’il offre en sécurité.

En mode touring, la puissance est la même, mais elle est délivrée avec plus de « douceur » et de souplesse. Il y a plus de progressivité dans la poignée de gaz, idem en « urban » qui limite le twin à 100 chevaux. Dans toutes les configurations, sa disponibilité garantit des sensations jouissives.

Au final, on ne trouve finalement pas grand-chose à reprocher à la Diavel. On est même surpris par son comportement. Le moteur généreux et envoûtant, on s’en doutait. La partie cycle efficace et adepte des virolos, on ne pariait pas vraiment dessus…