Grand Angle: de Paris au Cap Nord !

Evasion Tourisme Moto80
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Au départ de Paris, Frédéric Masson et Guillaume Boudekhana rêvent d’atteindre le Cap Nord à moto. Quelque 6.000km, dont plus de 1.000 au-dessus du cercle polaire arctique, doivent mener leurs deux montures à travers la Belgique, l’Allemagne et le Danemark pour enfin traverser toute la Norvège, d’Oslo au point le plus septentrional de l’Europe: Nordkapp.

Texte et photos Frédéric Masson et Guillaume Boudekhana.

Le Cap Nord, et son célèbre globe terrestre autour duquel on peine à se frayer un chemin en été, constitue une destination qualifiée de «pure folie à moto en hiver» par les Norvégiens qui savent bien ce que leur climat peut réserver au voyageur, et qui ne pratiquent la moto que le printemps venu. Retour six mois plus tôt, à Paris. Entre un voyage en Royal Enfield dans la cordillère des Andes en mars 2015 et la transpyrénéenne en septembre de la même année, Guillaume, en mal d’aventures, tombe sur une vidéo de Laurent Cochet qui raconte son trip au Cap Nord. Pour ma part, je rêvais depuis des années de photographier les aurores boréales.

Il n’en faut pas plus pour décider de notre prochaine aventure, ce sera le Cap Nord, et ce sera en hiver. S’en suivent des mois de préparation, de rencontres, de prise d’information et, surtout, de recherche d’équipement pour répondre à deux impératifs: ne pas (trop) geler et ne pas (trop) tomber: bottes de moto permettant de tenir à -40°C statique, gants et gilets chauffants, casques à visière dégivrante, pneus enduro à clous pour tenir sur la neige et la glace… Jean-Pierre Goy nous prodigue ses conseils et nous concocte un stage de préparation tandis que Christine complète notre équipement moto. Nous décidons aussi de la date: arriver autour du 9 mars au Cap Nord. C’est la nouvelle lune, et donc cela maximise nos chances de voir des aurores boréales dans la nuit noire. De plus, les éruptions solaires sont intenses en mars. Aussi, les journées rallongent en mars, ce qui nous évitera de trop rouler de nuit. Et enfin, il fait encore suffisamment froid pour que la route soit enneigée (les clous sont autorisés jusqu’au 1er mai dans les régions du nord de la Norvège, ça donne une idée).

Comme des mulets

Pour l’itinéraire, nous choisissons de rallier le Cap Nord intégralement par la Norvège. L’alternative serait de passer par la Suède. C’est plus rapide, car on évite les méandres des fjords norvégiens. Mais c’est aussi plus monotone. Pour nous, ce sera donc la route E6, l’épine dorsale de la Norvège. Pas aussi mythique que la route 66 ou la 40 mais ça reste un grand classique européen. Nous partons de Paris, chargés comme des mulets. On se dit pourtant à chaque fois qu’on devrait voyager léger mais il nous faut bien transporter nos pneus cloutés, notre équipement d’hiver nos appareils photos et caméras, un peu de nourriture et de quoi survivre quelque temps si nous étions pris dans un blizzard … Bref, nous devons avoisiner les 500kg, la GSA n’étant pas non plus un modèle de légèreté. Deux amis nous accompagnent et nous filment jusqu’aux portes de Paris. Nous ne laissons personne indifférent sur notre passage dans la capitale: les passants sont intrigués par les pneus à clous solidement arrimés à l’avant de la moto. Et puis, nous traçons l’autoroute deux jours durant jusqu’à Frederikshavn, au nord du Danemark, où nous attend le ferry pour Oslo.

Sur le ferry, on annonce une tempête de neige sur Oslo. Elle aura bien lieu dès le lendemain et plongera le sud de la Norvège sous un épais manteau de neige. Mais pour l’heure la route est «noire». C’est le qualificatif norvégien pour un asphalte exempt de neige ou de glace. Les webcams postées sur l’E6 nous indiquent aussi que la route est dégagée. Nous débarquons à Oslo et décidons de rester en pneus route. Nous essaierons de contourner Lillehammer, la station de ski des JO de 2016. Le temps de retrouver le garage moto germanique avec lequel nous avions pris rendez-vous de longue date mais qui nous a gentiment posé un lapin, de régler une autre bricole et il est 9h50. Notre prochaine étape, Trondheim, est à 500 km. La vitesse est limitée à 80km/h et les bas-côtés sont faits de congères. Mais la route est bien sèche. Aussi, nous arrivons vite et sans encombre. Enfin, presque jusqu’à Trondheim. Aux abords de la ville, qui est aussi un port (comme la plupart des villes norvégiennes, 70% de la population vivant sur une bande côtière de plus de 3.000km), le vent souffle en rafales et dépose sur la route des amas de neige arrachés aux bas-côtés. Il fait nuit. La moto de Guillaume passe sur un rail de glace tandis qu’un coup de vent fait chasser sa roue. La moto et son pilote glissent sur la voie d’en face et terminent sous le pare-chocs d’un véhicule. Grosse émotion et choc au genou. S’en suivent ambulance, police, constat… Les forces de l’ordre ne sont pas disposées à nous laisser repartir avec les pneus route mais nous leur expliquons (les Norvégiens parlent un anglais impeccable) que justement nous devons les changer le lendemain… Indulgence des autorités, nous poursuivons jusqu’à l’hôtel. La ville est charmante, l’hôtel tout autant, et nous profitons de notre première nuit en Norvège.

Vive les clous

Jour 2: opération pneus. Nous passons chez un premier spécialiste du pneu, dont le chef mécano jette un œil dégoûté à nos motos, et explique (en norvégien cette fois) à son patron qu’il n’est pas né le Viking qui lui fera changer nos pneus. Ledit patron embarrassé, mais soumis à son expert, nous oriente alors vers un garage moto nippon de ses amis. Non sans avoir auparavant fait un selfie avec nos motos, destiné à son épouse et probablement sous-titré, «Chérie, tu ne devineras jamais, j’ai croisé deux motos aujourd’hui!». Il est vrai que durant les trois semaines de notre voyage, nous ne croiserons aucune moto… Nous nous rendons donc à l’adresse indiquée. Une vraie «rencontre de motard» avec ce garage, Ride Trondheim AS, qui a tout fait pour nous aider avec de jeunes mécanos hyperpros et ravis d’exercer ce noble art. Nous sommes restés en contact avec le patron, Torgeir, tout le long de notre trip et sommes repassés à notre retour. Une fois cloutées, nos bécanes reprennent le chemin de Grong, à 230km au nord de Trondheim. Nous empruntons de petites routes et c’est exaltant. Parfois, des bourrasques balayent les congères et la neige se répand sur la route comme un nuage que nous traversons à l’aveugle. L’arrivée à la Hytte (on va dire un bungalow dans un camping) est magique, par une nuit claire et étoilée, sur une petite route enneigée. Nous aimerions rouler des heures malgré la fatigue. Le grip est excellent et le contrôle de traction de la GS (sur position Enduro) fait gentiment swinger la moto sur la neige.  C’est aussi pour ces moments-là que nous sommes venus.

Au 3e jour, nous atteignons le comté du Nordland, qui signe aussi le début, pour nous, des ennuis techniques. Première crevaison de ma roue avant. A priori, les kilomètres avalés à vive allure sur l’asphalte «noir», combinés à des clous un peu trop saillants, les ont fait se rétracter dans les pneus et crever la chambre à air. Et ce, malgré l’adjonction d’un produit anti-crevaison préventif. Réparation efficace sur la route (les bas-côtés ne sont pas dégagés mais au contraire, le chasse-neige consolide les congères à chacun de ses passages), avec bombe anti-crevaison et gonfleur électrique. Les doigts gèlent rapidement mais nous avions prévu des gants de travaux et des gants photos. Par mail, Torgeir nous communique l’adresse d’un de ses confrères dans la ville voisine de Mosjenes et nous atterrissons chez un réparateur de pneus. Ils sont légion en Norvège, où tout le monde possède au moins deux trains de pneus laissés en gardiennage dans de véritables «hôtels de pneus». Par chance, ce «dekk-service» dispose d’une chambre à air aux bonnes dimensions… et c’est reparti! Il fait déjà nuit, on ne distingue pas les bas-côtés de la route, tout est gris, le marquage au sol est bien entendu inexistant. Nous traversons de nombreux tunnels, là aussi tout est gris, l’éclairage latéral est absent, nous flottons dans un espace gris indéfini. Nous avons peu à peu pris le pli mais la technique consiste à regarder très loin en suivant les lumières au plafond, comme l’on suivrait les lignes blanches pointillées au sol. Les véhicules qui nous croisent sont en plein phares. Il faut préciser que camions et voitures possèdent des rampes de longue portée, et pas uniquement les phares de série. C’est nerveusement épuisé par une attention de tous les instants que nous arrivons à Mo I Rana.

Cercle polaire

Le lendemain, nous reprenons la route en direction de Bodo. Nous devons franchir le parc national du Saltfjellet qui abrite une des plus grandes montagnes de Norvège. La température baisse rapidement tandis que nous grimpons. Nous branchons les gilets électriques, au-delà du confort qu’ils nous apportent, ils nous évitent l’engourdissement et la perte de réflexes qui s’en suit. Ce n’est pas le moment, alors que nous rejouons en boucle Holiday on Ice. Les motos se comportent à merveille. À 11 heures, nous franchissons le cercle polaire arctique, 66°N, et nous nous arrêtons au bord de la route pour immortaliser l’instant.  Le petit chemin qui mène au monument du cercle arctique n’a pas vu passer la déneigeuse depuis des lustres, le centre touristique est fermé, cerné par la neige. Nous devons arriver à Bodo à 16h30 pour attraper le ferry qui conduit aux Lofoten. Nous traçons mais le pneu arrière de Guillaume crève à son tour. Arrivé sur le quai d’embarquement, c’est la panne complète, la moto est sur la jante, chambre à air explosée.

Je pars chercher de l’aide, il y a un garage BMW. Il aura peut-être les pneus et chambres aux dimensions de la GSA. C’est bientôt l’heure de la fermeture quand j’arrive mais un mécano me reconduit en voiture auprès de Guillaume pour chercher la roue arrière et la ramener à l’atelier. À nouveau de vrais artistes qui collent une bande de pneu à l’intérieur de la roue, pour protéger des piqûres de clous, changent la chambre et ramènent le tout auprès de la moto restée sur cale près de l’embarcadère. Pendant ce temps, des membres du moto club local s’étaient arrêtés, voyant la moto en panne. L’un d’entre eux avait invité Guillaume à patienter au chaud dans sa voiture, lui offrant du café et mille anecdotes. La roue remontée, et le ferry quand même loupé, le MC Bodo nous invite à passer la nuit dans leur club house et à visiter leur atelier, un ancien bunker suréquipé. C’est soir d’assemblée générale du moto club, on en profite pour mieux comprendre la pratique de la moto en Norvège. Principalement de grands rassemblements, chaque année dans une ville différente, où l’on sort les motos de leur hibernation, la viande à barbecue des frigos et la bière des tonneaux. On remet aussi un prix à celui qui parcourt la plus grande distance, comme un Bodo-Lisbonne, presque 10.000km… Après une nuit sur les canapés et la visite de Bodo, nous reprenons le ferry le lendemain.

Jeter l’éponge

Le 5e jour, à 20h, nous débarquons du ferry à Moskenes, au sud des Lofoten, un des temps forts de notre voyage. Nous avions réservé un «robuer à A». Traduction: nous avions réservé une nuit dans une cabane de pêcheur dans la petite ville de A. Une cabane en bois sur pilotis qui conserve des traces de son passé de pêche. On se fait chauffer un lyophilisé, au coin du poêle à bois. Ah oui, les lyophilisés. Vu le prix des restaurants, les horaires locaux des repas, le temps que l’on devait passer à traiter les photos et vidéos le soir, la fatigue… on s’était dit que les repas déshydratés étaient la bonne solution. Le 6 mars, nous traversons les Lofoten, sous la neige. La température y est très douce, sous l’effet du Gulf Stream, ce qui fait de cet archipel l’endroit du monde le plus au nord où l’on puisse trouver une moyenne de température au-dessus de zéro toute l’année. Les morues ne s’y trompent pas, elles frayent en abondance et viennent remplir les filets des pêcheurs norvégiens qui passent l’hiver ici. Quant aux morues, elles finissent accrochées sur des claies en bois, pour y sécher à l’air libre avant d’être vendues dans toute l’Europe, en particulier via Lisbonne. De notre côté, nous remontons la route numéro 10, celle aux 18 tunnels, qui relie A à Luela, en Suède. Mais le passage par les Lofoten ne ménage pas nos pneus. Une fois revenues sur le continent, nos deux motos sont à plat. J’ai envie de jeter l’éponge. Nous passons la nuit près de Steinsland…

Mission accomplie ?

Dès le lendemain matin, nous devons rejoindre un garage, à 5km, pour l’opération de la dernière chance. Ils ne peuvent rien faire: pas de chambre à air disponible. Las, nous appelons l’assistance BMW. Je passe sur cette interminable journée et sur la qualité du service. Vers 18h, une dépanneuse prend en charge nos deux motos pour les conduire au garage BMW le plus proche, à Tromso, à 250km de là. Et les pilotes? Le contrat ne prévoit rien, prenez un taxi. Les noms d’oiseau fusent. Le chauffeur de la dépanneuse nous branche avec une de ses connaissances qui nous propose de convoyer une voiture à réparer vers l’aéroport de Tromso. Sauvés! Je passe aussi sur la journée qui suit, dans les griffes du garage BMW de Tromso, qui avait bien reçu les motos dans la nuit et qui a tout fait pour ne pas nous aider. De nouveaux noms d’oiseau. Vers 16h la boutique ferme, la facture est plus salée qu’une vieille morue, le travail est bâclé: nous repartons avec de nouvelles chambres et une poignée de clous en moins. 10km plus loin: pneu avant crevé. Nous décidons d’enlever les clous de la bande de roulement et d’utiliser une bombe extraite de notre stock pour redonner vie à la chambre à air. La nuit tombe, il fait relativement froid, c’est alors qu’une habitante du hameau voisin vient nous offrir deux cafés chauds. C’est très réconfortant. Hommage aux Norvégiens dans ces temps barbares: le royaume de Norvège est classé dans les meilleures démocraties du monde et comme tous les pays à très faible densité de population (le 2e d’Europe derrière l’Islande) et au climat rude, la gentillesse et l’entraide guident le quotidien de ses sujets. La criminalité y est faible, on ne voit pas un policier, on peut laisser ses clés et ses bagages sur la moto (on l’a fait) sans craindre le vol ou le vandalisme. Hormis quelques margoulins, nous n’avons croisé que des gens remplis de gentillesse, de compassion … 

Extinction totale

Le soir du 8 mars, nous laissons définitivement nos problèmes de pneus derrière nous. Mais nous avons perdu trop de temps. Nous devons rejoindre au plus vite le nord de la Norvège. Notre meilleure option consiste à couper la route en prenant par la côte, via deux ferries. Il fait nuit, la route est un chemin de glace et le pneu avant de Guillaume, encore bien gonflé et démuni de ses clous le fait dangereusement swinger. Nous sommes à la limite de l’adhérence. Nous arrivons néanmoins au premier bac à temps, vers 19h. Mais c’est la pause diner et le prochain ferry n’est qu’à 20h. Nous l’attendons dans le froid, avec quelques voitures. Pas un touriste. La traversée est de courte durée. Une fois accostés, nous avons moins de 40 minutes pour rejoindre le second ferry. C’est un peu la course, sur glace, contre la montre. On arrive à temps mais avec beaucoup de tension. La solidarité de l’équipe en prend un coup, car les emmerdes s’accumulant et la route très difficilement praticable nous ont beaucoup éprouvés. On arrive très tard dans un hôtel de Sorkjosen, après une journée épuisante et surtout très négative. Extinctions des feux et des pilotes.

Le lendemain matin, notre volonté de réussir notre challenge reprend le dessus, et nous décidons de faire une grande journée de roulage, pour abattre au plus vite les 400km qui nous séparent encore de Honningsvag, le point de départ vers le Cap Nord. Nous aurons ainsi encore trois jours pour tenter les derniers kilomètres vers notre objectif. Nous apprendrons par la suite, que tandis que nous nous débattions avec nos pneus, Honningsvag était sous blocus pour cause de blizzard, routes coupées, aéroport fermé, accès au Cap Nord suspendu. Quand le blizzard souffle, il n’y a pas les bons et les mauvais motards, la nature met tout le monde à égalité et démontre sa force. Le souffle balaye la moto qui peine déjà à tenir sur la glace et n’avance plus sur la neige qui s’amoncelle, la visibilité est nulle. Pour l’heure, la météo est clémente et nous rejoignons le point le plus au nord de l’Europe, à travers une route magnifique, droite et glacée. Nous rentrons dans le Finmark, le pays des Sami (que les Suédois baptisent Lapons), et au fur et à mesure que nous avançons, la végétation disparait: c’est l’arctique. Nous passons la ville d’Alta, tant pis pour le séjour dans son hôtel de glace, une autre fois peut être. De part et d’autre de la route fleurissent des hyttes dans lesquelles les Norvégiens viennent passer l’été dans les grands espaces. Nous traversons d’immenses plateaux battus par les vents, les grands espaces que nous étions venus chercher. Un grand moment de liberté.

200m sous la mer

En fin d’après-midi du 9 mars, nous arrivons au tunnel sous-marin qui mène à l’île de Mageroya, sur laquelle on trouve le Cap Nord. C’est encore un autre monde. Ce tunnel de 7km plonge à 200m sous la mer. Pour y pénétrer, il faut d’abord franchir les portes automatiques qui le protègent du gel ensuite, c’est d’abord une longue descente, constante, à 9%. On sent bien que l’on descend mais il n’y a plus vraiment de repère, de plus il y fait chaud et humide, la buée remplit la visière et les rétroviseurs. Et puis, on atteint le fond à mi-chemin et, rapidement, on remonte. On se rend alors mieux compte de la pente, grâce au régime moteur. Un camion nous croise de face à vive allure, rampe de longue portée allumée, au milieu du tunnel pour éviter l’aspiration des parois. Malgré le gabarit des GS, on se sent tout petits. Les camions furent notre plus grande frayeur dans ce voyage. Ils sont légion sur l’E6 qui traverse le pays tel un cordon ombilical. Ils déboulaient en face, à bloc sur la glace, surchargés avec leurs remorques, frôlant les congères comme sur une piste de bobsleigh. Pas moyen qu’ils freinent. Et nous qui serrions les fesses, choisissant la bonne trajectoire pour ne pas glisser, et ne pas finir sous leurs essieux, et anticiper le souffle pour rester sur la meilleure trajectoire. Pas question de freiner, bien sûr.

À l’autre bout du tunnel, nous découvrons Honningsvag. Le ciel est très clair, les lumières du port se reflètent sur la mer (de Barents). Nous traversons la ville sur une épaisse couche de glace. Ici comme souvent en Norvège, les routes ne sont pas salées car au-dessous de -7°C, le sel provoque un glaçage encore pire. Les chaussées sont donc gravillonnées pour donner plus de grip. Nous retrouvons notre hôtel, pour trois nuits, jusqu’au passage de l’Hurtigruten qui nous ramènera au sud. Sur le parking de l’hôtel: une vingtaine d’Audi Q7 rutilantes. Elles nous avaient doublés à vive allure avant le tunnel, un chauffeur par voiture. On pensait à l’armée ou à des services spéciaux. En fait, il s’agit d’un stage de conduite sur lac et routes gelés du Cap Nord. Une autre façon ludique de vivre l’expérience. On les recroisera le lendemain, sur le chemin du cap.

Bout de la terre

Le Jour J, 10 mars 2016, nous devons arriver avant onze heures à l’embranchement pour Skarsvag, à 13km du cap. En effet, en hiver l’accès au Cap Nord ne peut se faire qu’en convoi, avec une déneigeuse à l’avant, une voiture de sécurité à l’arrière. Trois voitures font partie du voyage, en plus de nos deux motos. Nous n’avons pas croisé de moto depuis le nord du Danemark. Aussi, nous faisons souvent l’attraction, ici comme ailleurs. Quelques photos devant la barrière encore abaissée et le convoi s’ébranle. Nous laissons passer les voitures. On comprend rapidement mieux le pourquoi du convoi. Nous sommes au bout de la terre et la lande est balayée par les vents, rien ne peut les arrêter. Comme si le vent ne suffisait pas, la route est assez pentue avec quelques virages. En été, on enroulerait gentiment tout çà. Mais aujourd’hui c’est vent, plus glace, plus virages, plus côté, plus pas de clous à l’avant. Alors, on fait tout pour ne pas avoir à redémarrer en côte, à freiner avant une courbe. 400kg qui roulent sur des œufs, doux sur la poignée de gaz, la poignée de frein avec un gros signe «interdiction de toucher» et l’on peut alors entamer un joli swing sur plus de 10km. Les voitures nous ont semés mais la voiture-balai ne s’impatiente pas et suit notre rythme.

Nous arrivons enfin au Nordkapp, 71°10’21’’, vers 11h30, après plus de 4.000km, 12 jours et 6 crevaisons. Nous sommes très heureux et fiers d’avoir relevé ce nouveau défi et nous nous étreignons bien sûr. Nous pouvons profiter de la basse saison pour prendre tranquillement des photos et laisser quelques messages vidéo à nos amis, sur le piédestal du globe terrestre symbolisant la fin de la route en Europe. Plus au nord, par la mer cette fois, c’est encore la Norvège, l’archipel de Svalbard et sa fameuse île du Spitzberg. Si l’on poursuit, la prochaine et dernière étape est le pôle nord. Pour l’heure, nous nous contenterons de visiter les installations du centre, dont un excellent film sur le Cap Nord à travers les saisons. L’hiver y est pour moi le moment le plus saisissant. Quelques achats de produits au logo 71N plus tard, et notre diplôme du Royal North Cape Club en poche, nous reprenons le chemin vers Honningsvag. Les motos swinguent toujours autant mais quelque chose en nous est libéré et nous donnons un peu plus de gaz, une autre façon de savourer l’instant.

Chasse aux aurores

Le soir même, nous partons à la chasse, paisible, aux aurores boréales. Nos calculs étaient bons et le vent nous a dégagé le ciel. La première tentative est la bonne. J’installe l’appareil photo sur son trépied et effectue les bons réglages d’ouverture, de temps de pose. Nous n’avons alors plus qu’à profiter du spectacle grandiose que le soleil et l’atmosphère offrent à nos yeux. Les vagues vertes ondulent dans le ciel et sont magnifiées par le capteur de l’appareil. Un ballet de lumière qui va durer toute la nuit. Guillaume profite des bâtons Cyalume qu’il avait emportés pour notre sécurité pour faire un peu de light painting. Le nom de Dust Raisers s’inscrit désormais en lettres bleues sur un fond d’aurores boréales, motos en premier plan. Mais les deux batteries s’épuisent vite au froid et nous obligent à rentrer. Le lendemain j’emballe les batteries affichant 0% dans une chaufferette, là aussi on en avait apporté un bon paquet, et elles regagnent rapidement de l’énergie sans même les recharger. J’aurais dû y penser plus tôt, c’est ça l’expérience.

Les deux jours qui suivent, nous nous baladons. D’abord à pied vers le petit village de pêcheurs de Nordvagen. Avec ses maisons colorées, sa piste de ski éclairée dont l’arrivée donne quasiment sur le port, sa petite école où nous avons surpris les enfants en combinaison de ski, devant un barbecue installé dans la cour enneigée. Ce village est très surprenant à cette latitude, à la fois objectivement très reculé mais aussi très actif, vivant et superbement entretenu. Cette balade à pied depuis Honningsvag nous a fait le plus grand bien, nous nous sommes aperçus que nous manquions un peu d’exercice physique après 12 jours sur la moto. Nous sommes revenus à Nordvagen, le soir, à moto, pour une nouvelle séance d’aurores boréales mais un peu plus délicate, car un peu trop proche des lumières du village.

Seuls deux

Le 13 mars débute notre retour au bercail. Nous embarquons à 5h45 sur le Hurtigruten. Le Hurtigruten, ou express côtier, est un peu l’omnibus norvégien. Il parcourt toute la côte, depuis la frontière russe, à Kirkenes, jusqu’à Bergen, au sud. Soit 34 ports, en six jours de croisière. Pour nous ce sera quatre jours, jusqu’à Trondheim. Le ferry constitue une très bonne option pour se reposer avant les 2.200 derniers kilomètres qui séparent encore Trondheim de Paris. Le ferry se fraye habilement une route entre les fjords norvégiens et parcourt les plus beaux endroits de la côte, en particulier les Lofoten. Ça, c’est la brochure et nous la croyons volontiers. Malheureusement, nous avons navigué quatre jours dans une purée de pois. La bonne nouvelle, c’est que sur terre, c’était parfois du blizzard, en particulier à Alta où l’E6 était fermée. Nous repassons le cercle polaire arctique, cette fois en mer. Et à cette occasion, comme le veut la coutume, nous avons avalé une cuillère d’huile de foie de morue. Et enfin, nous atteignons Trondheim où nous retrouvons nos amis du garage Ride AS qui rechaussent nos bécanes en pneus route. La route est dégagée vers Oslo et nous en profitons pour dégourdir un peu les cylindres des GS. Ne le répétez pas mais les radars en Norvège flashent l’avant (l’arrière étant, en général, sur tous les véhicules, recouvert d’une épaisse couche de crasse grise neigeuse). Nous craignions juste de nous faire arrêter avec l’impossibilité de prétendre que ça devait être une autre moto… vu que nous étions un peu «seuls deux», pour parodier un film. Mais la vitesse reste raisonnable, Guillaume transporte 6 pneus en tout, l’équipage ressemble plus à un dromadaire. Le soir du 19, nous sommes à Paris et retrouvons avec plaisir nos familles. Mais deux jours plus tard, nous évoquons déjà nos futurs projets…

N’hésitez pas à suivre les aventures des DustRaisers sur www.facebook.com/dustraisers.