Match KTM 690 Duke R vs Triumph Street Triple R ABS – Roi mono & Triple extase

Essais Motos Laurent Blairon
Partager

L’été nous donne envie de nous amuser. De préférence au guidon de motos rares, très exclusives mais encore… payables. Pour un peu moins de 10.000€, voici le monocylindre le plus déluré de la production et une version ultime du roadster le plus apprécié du moment. Un match amical antimorosité. 

Les motos deviennent-elles trop chères? Long débat! De récentes réalisations telles que la série Honda CB500 prouvent le contraire et annoncent même une nouvelle génération low cost, il en va de la pérennité de certaines marques en Europe. Cela dit, si la finalité est de se faire plaisir, les yeux vous en sortent rapidement des orbites: entre fusées de 200ch et trails ultra-perfectionnés, les notes s’envolent: 15.000, 18.000 et même 20.000€. La production actuelle n’offre-t-elle plus rien de vraiment différent, spectaculaire et exclusif à moins de 10.000€, un seuil psychologique qu’une majorité de motards ne peut se permettre de dépasser? Si, on a trouvé.

La KTM Duke R a été présentée lors des grands salons de la fin 2012 et se veut une version extrême de la déjà connue 690 Duke. Cette dernière est une machine importante pour KTM car en perdant le style trop Supermotard des 3 générations de Duke qui l’ont précédée, elle sort du registre trop extrême et séduit une plus large clientèle, de tous âges et sexes. D’ou, un assagissement dans son ergonomie et dans ses suspensions, pour plus de confort. Les puristes KTM n’ont pas manqué de crier au scandale, à l’abandon du noyau dur de la clientèle. Pour eux, la marque rectifie le tir avec la 690 R qui, grâce à des suspensions au top et quelques pièces powerparts regagne leur estime.

Dans le cas de la Triumph Street Triple R, il s’agit simplement d’une gradation supplémentaire du modèle qui, depuis 2007, fait le bonheur du constructeur de Hinckley. La première Street Triple a séduit tellement de monde que l’idée d’un dérivé encore plus affûté a vite été décidée. Déjà disponible sur la génération précédente, la nouvelle Street Triple version R est plus légère (6kg) et bien mieux servie en suspensions et freins. Question look, l’anglaise voit ses pots d’échappement disparaître dessous la selle et migrer sur le côté. Une solution moins originale mais plus pratique (passager, chargement, centre de gravité).

15cc, un monde

15cc seulement séparent nos deux moteurs en présence, mais après c’est bien d’un monde de différence dont il s’agit. Côté autrichien, nous sommes en présence du meilleur monocylindre de série jamais produit. Avec la ligne Akrapovic montée de série, il développe 72ch. Une pêche comme ça, c’est le bonheur à chaque accélération! On aime ou on déteste, votre serviteur intègre le premier clan. Sous les 3.000tr/min, son absence de souplesse irrite mais après c’est du gâteau. Très puissant de 5 à 8.000tr/min mais également très agréable en conduite touristico-sportive. Le six-nonante accepte même de croiser à 120km/h à 5.000tr/min, en vibrant copieusement, certes, mais par rapport aux anciens KTM 640, on a bien progressé. En dépit d’une sonorité assez typée, son Akrapovic d’origine (et homologué) reste étonnamment discret. Pour les «méga-vroooââââp», on vous laisse voir avec votre dealer KTM. Ce mono de feu est bien servi par sa boîte à six rapports et son accélérateur ride-by-wire. La puissance déboule avec de belles sensations, ce moteur adore l’arsouille mais n’a rien d’une punition le reste du temps.

Au guidon de l’anglaise, le pedigree évoque l’esprit circuit de vitesse, normal pour un roadster dérivé de la Daytona 675. En tout cas la démarche est la même: atteindre une forme de perfection dans son genre. Le trois cylindres de la Street Triple R a gagné tous les comparatifs et s’est imposé comme la référence des roadsters sportifs de moyenne cylindrée et ce n’est pas cette version 2013 qui va inverser la tendance. Pour aborder 2013, ce diabolique moulin a profité de réglages plus fins de son injection et de l’admission en vue de le rendre à la fois plus onctueux et sobre. L’impression dominante vient de son caractère superrempli, presque «tendu», il reprend en 6e à 50km/h et s’envole à 13.000tr/min sans l’ombre d’un hoquet de mouche dans sa courbe de puissance. Cette Triumph, c’est une sensation grisante et permanente de disponibilité immédiate, comme si le moteur était plus balèze. En outre, explorer les hauts régimes se déroule dans un bruit envoûtant de son silencieux Arrow. Presque trop exubérant, surtout en ville où, plus d’une fois au feu rouge, certains automobilistes ont remonté leur vitre, visiblement agacés par le souffle amplifié du triple.

Comportement

Ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance de rouler avec des suspensions au top. Quel pied! Imaginées pour exceller sur la route, nous n’avons pas été déçus. La KTM nous a le plus bluffés. Sa nouvelle fourche WP renferme des ressorts plus rigides et une gestion plus poussée de l’hydraulique (réglage séparé de la détente et de la compression).  Visuellement, elle se distingue surtout par ses superbes tés de fourche usinés en finition orange anodisé. Traitement similaire pour le monoshock WP (désormais à bonbonne séparée) à l’arrière qui se dote même d’un réglage de compression «low» et «speed». Un seul mot pour résumer son comportement: hyperstabilité. A 180km/ en courbe rapide ou en s’extirpant d’un grand rond-point  à fond de deuxième, un pur régal.

Ce mono a beau être le plus puissant du marché, il ne développe jamais que 70ch, ce que ce châssis diabolique digèrera toujours. Outre la qualité des liaisons au sol, cette rigueur remarquable vient aussi de sa géométrie idéale. Ainsi l’empattement de 1.466mm est relativement généreux, c’est 5cm de plus que celui de la Triumph. Le plus savoureux vient de cette liberté d’improviser à tout moment: courbe négociée trop large? On sort le pied, on pousse un peu sur le guidon ou alors on freine, dans tous les cas la KTM s’applique sans se désunir. Sur route bosselée, le bilan reste élogieux grâce à des débattements de 150mm associés à des réactions d’une grande finesse. Faites confiance aux réglages d’origine, ils permettent déjà de se faire très, très plaisir. Néanmoins, avec l’aide d’un expert en suspensions, il est possible d’affiner les réglages pour atteindre le summum selon vos préférences. Un seul disque de frein pour la stopper mais vu le mordant de l’étrier radial Brembo et le poids réduit (150kg à sec), en plus d’un ABS Bosch 9M+, ça va…

La Street Triple nous offre cette même sensation de perfectionnement extrême. La fourche Kayaba entièrement réglable plante l’avant là où vous regarde, la moto plonge et s’extirpe des virages avec une aisance saisissante. Grâce à son empattement hypercompact, elle ferait presque demi-tour au point de corde. L’accord parfait entre châssis et moteur vous donne l’illusion d’être un pilote de grand talent, tant ça passe fort et «propre». Le hic est qu’après avoir essayé ce bijou, les roadsters normaux semblent se comporter comme de vulgaires saucisses… Gâtée par une gestion hydraulique des suspensions très poussée, l’Anglaise encaisse bien petites irrégularités. Reste que ses débattements sont moins généreux que ceux de la Duke R, que son empattement est minimaliste (1.410mm!) et qu’il y a environ 25 kilos de plus à gérer. Du coup, lorsque les lacets n’affichent pas le meilleur macadam, on sent la Street Triple R plus physique et exigeante, une impression renforcée par le fait que l’on aborde les courbes plus vite avec la Triumph (parce que son moteur pousse plus fort) et donc, la phase de freinage paraît plus délicate.

La Triumph est très bien armée sur ce plan aussi mais le mordant agressif des pinces radiales demande plus de concentration. Dans le sinueux technique, la KTM lui colle aux basques et si elle est devant, elle creuse même l’écart grâce à son pilotage plus naturel et instinctif: un virage arrive, on rentre trois rapports en même temps, on lâche l’embrayage et on tire un peu sur le freins et ça rentre… Par contre, sur le billard d’un circuit (plutôt un petit, genre Mettet ou Croix) où les mauvaises surprises n’existent pas (priorités de droite, tracteurs,…) la Street Triple R est un ravissement, une sommité en matière de roadster sportif. La KTM s’y amuse fort aussi mais ne peut parvenir à tenir la britannique.

R quotidien

Vivre ces deux machines au quotidien impose un peu de volonté. Le mot «confort» est à prendre avec des pincettes mais c’est la KTM qui s’en approche le plus grâce à une position de conduite presque parfaite pour mon 1,87m (jambes encore un peu trop repliées). Le nouveau guidon est idéalement positionné. La protection? Il n’y en a pas, un bon casque intégral et des bouchons auditifs s’imposent. Pour le transport d’objets? Un sac à dos, tirez votre plan! Dans les embouteillages ou en ville, la KTM brille par son agilité, pour autant que l’on apprenne à garder l’aiguille au-dessus de 2.500-3.000tr/min, c’est-à-dire en tricotant en permanence le sélecteur de rapports et l’embrayage (à assistance, du beurre). Un indicateur de rapport engagé et un compte-tours bien en vue permettent de bien tenir cela à l’œil. Pour le reste, son tableau de bord est succinct et même (bizarrement) pas assez incliné vers le pilote.

Plus «circuit» dans l’âme, la Street Triple R se révèle, a priori, moins citadine. Fine, légère, maniable, certes, mais très rigide, avec des freins on/off et, malgré un gabarit compact, plus de poids et de longueur à gérer que la KTM. Pour le millésime 2013, sa boîte bénéficie d’une première longue, ce qui aide dans les embouteillages. Pour le transport de vos effets, même topo que la Duke R: c’est le sac à dos ou rien. Détail intéressant: notre Triumph d’essai était équipée de petits rétroviseurs de bout de guidon étonnamment efficaces. Leur surface est ténue mais on y voit très nettement. La KTM garde des glaces conventionnelles qui déçoivent: dès qu’on roule à plus de 100 à l’heure, les voitures deviennent des sortes de taches de couleur dont on apprécie mal la proximité et la vitesse.

Exclu totale

Peu de personnes nous ont crus mais la plus chère des deux est bien la KTM! 9.900€ alors que la Triumph Street Triple R en vaut 9.490€. De là une réaction immédiate: sont-ils dingues à Mattighoffen? Oui et non. Il faut simplement se rendre compte que le matériel de pointe au niveau des suspensions vaut largement la différence avec la Duke normale (7.700€). Qu’elle possède quand même un ABS déconnectable et un échappement Akrapovic d’origine. Après, oui, un monocylindre à 10.000€, c’est une petite folie que peu de motards s’accorderont mais sachez que l’exclusivité est bien réelle. KTM n’en produira pas énormément. On n’en prévoit cette année que 35 pour la Belgique. En France, ce nombre est de 65. Avec la Street Triple R, onéreuse dans l’absolu mais plus fédératrice, la pilule passe plus facilement parce que c’est un trois cylindres, théoriquement plus polyvalent et parce que ses suspensions et freins sont fantastiques mais sachez que cette version reste un jouet précieux que l’on utilisera uniquement pour son plaisir. Rouler avec «ça» en hiver et/ou risquer de se la faire rayer par des scooters dans les parkings deux-roues serait du gâchis! 

Son inébranlable domination dans tous les comparatifs et son succès commercial, la Street Triple – et encore plus la version R – les doit surtout à son culte de la singularité. Un moteur pas comme les autres, des performances de premier ordre et un matos d’enfer. Dommage qu’elle ait perdu ses pots sous la selle. Mais sa culture anglaise, son côté hooligan et l’histoire de Triumph appuient une forme d’authenticité qui fait mouche. La Street Triple R, en matière de roadster sportif, c’est un placement plaisir sans risque. Or, justement, si les bestsellers et les choix faciles vous font bâiller, on a trouvé encore plus exclusif pour à peine plus cher: la 690 Duke R. Cette moto fera rarement l’unanimité et paraît complètement déconnectée de la réalité mais son cocktail pureté/efficacité est au moins aussi passionnant que dans le cas de l’anglaise! 

Un match signé Laurent Blairon et publié dans le Moto 80 n°752.