Comparatif Kawasaki Versys 1000 – KTM 1050 Adventure – Suzuki V-Strom 1000

Essais Motos Laurent Cortvrindt
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Courte ou longue portée?

Un trail n'est pas forcément l'autre. Et dans ce segment en perpétuelle effervescence, l'offre devient de plus en plus importante. Aussi, avant de craquer, il convient de vérifier si celui que vous avez en point de mire correspond bien à l'utilisation à laquelle vous le destinez… Confrontation austro-japonaise.

Beau temps, routes impeccables, paysages enchanteurs, nourriture affriolante, vu comme cela, l'Espagne a tout du paradis pour motard. Si de nombreux Belges possèdent une seconde résidence quelque part de l'autre côté des Pyrénées, ils n'ont pas forcément une moto dans leur garage. Pour aller dans le sud de la France, on se farcit encore volontiers 1.000 bornes à moto. En deux étapes pour les plus sages, en une seule pour les plus courageux. L'Espagne, c'est un peu plus loin. Si on a la chance de bénéficier de congés à profusion, cela reste jouable, sinon, il faut envisager une autre solution. Ça, c'est pour la théorie. En pratique, cela dépend avant tout… de votre machine! Bon, ok, vous allez me parler de la fois où vous êtes descendu à Tanger en 125 avec vos potes de promo. Quand on veut, tout est toujours possible. Mais les moyens financiers, physiques, matériels, temporels… ne sont pas toujours à disposition. Ce serait trop beau. Donc, en pratique, penchons-nous d'abord sur la moto. Pour enquiller les bornes, de plus en plus de motards se tournent vers un trail. Et comme nous allons nous en apercevoir, leurs personnalités varient sensiblement. Seriez-vous prêt à descendre indifféremment en Espagne en Versys, 1050 Adventure ou DL 1000 V-Strom? Vous pensez que oui? Eh bien la réponse est non. Et prendrez-vous le même pied une fois sur place en Kawasaki, KTM ou Suzuki? Non, encore une fois. Explications…

Le look

Présentée à Milan fin 2014, la Versys a reçu un joli coup de bistouri. Fini la face avant bizarroïde et relativement peu réussie de la précédente version. Chez Kawasaki, on a décidé de revenir à quelque chose de plus design mais aussi de plus conventionnel car la bouille de ce trail rappelle quand même assez sensiblement les traits avant des naked bike de la marque. Esthétiquement, l'upgrade reste néanmoins plutôt réussi et il ne constitue en tout cas plus un facteur de «non-achat» comme le look de l'ancienne Versys pouvait l'être. Autre correction qui saute aux yeux, les valises sont désormais particulièrement bien intégrées à la moto et l'ensemble gagne en fluidité, pour ne pas dire en finesse. Pour la KTM, impossible de comparer avec le passé… vu qu'il s'agit d'un nouveau modèle, également dévoilé fin de l'année 2014. On ne parlera pas de «petite» Adventure car la machine avance une belle stature. La différence n'est pas aussi marquée qu'entre les Versys 650 et 1000, par exemple. Il faut même avoir l'œil averti pour différencier la 1050 de ses grandes sœurs tant la filiation est affirmée: bulle similaire, même design coupé à la serpe, mêmes rétroviseurs ronds… Pour «ze» look qui tranche, il faut chercher du côté de chez Suzuki. Avec son nez type «bec de canard», la V-Strom fait toujours office d'ovni dans la production actuelle. On aime ou on n'aime pas mais ça a au moins le mérite d'être original…

Les moteurs

La Kawasaki est animée par un 4 cylindres en ligne, 4-temps à refroidissement liquide développant 1.043cc pour une puissance de 120ch à 9.000tr/min et un couple maximum de 102Nm à 7.500tr/min. Son coffre, sa rondeur et sa souplesse nous ont immédiatement séduit. Sur la Versys, on peut enchaîner du virolo sur n'importe quel rapport sans faire souffrir le moins du monde la mécanique. Une petite épingle en 2e ou en 4e, ça repart sans sourciller. Une ligne droite et la flemme de monter une vitesse pour la redescendre un peu plus tard, pas de souci, l'allonge est présente. Un vrai poumon qui respire déjà bas dans les tours et qui ne s'essouffle pas en vue du rupteur. Et si on veut s'amuser de manière plus sportive, pas de problème, les 120ch délivrent une puissance tout à fait honorable, très linéaire, et donc aisée à utiliser. C'est un peu le paradoxe de cette Versys. Elle est la plus puissante des trois motos de ce comparo mais en même temps, c'est celle qui permet la conduite la plus coulée, à l'opposé de ce que son look agressif pourrait laisser supposer. Revers de la médaille sous la pluie, le fait de ne pas être obligé de jouer tout le temps du sélecteur vous amène parfois dans un virage sur un rapport pas vraiment adéquat. Mais même dans ce cas, la souplesse du moteur permet de toujours s'en sortir honorablement.

Le bicylindre en V à 75°, 4-temps et refroidissement liquide de la KTM nécessite un temps d'adaptation pour cerner toute sa personnalité. Nous avons fait connaissance sous les trombes d'eau à allure très modérée et nous avons, dans un premier temps, été marqué par son aspect rugueux sous la barre des 3.000 tours, cap où il a tendance à commencer à cogner. Plutôt délicat dans de mauvaises conditions climatiques mais avec la cartographie Rain, cela va déjà beaucoup mieux. Mais à partir de 5.000 tours, le 1.050cc se libère. Le couple maximal de 107Nm est atteint à 5.750tr/min et la puissance de 105ch est libérée à 6.200tr/min. Avec un rythme dynamique, la KTM devient même superamusante et révèle son vrai visage. À 8.500 tours, un peu sans prévenir, le rupteur sonne néanmoins l'alarme. Mais dans les faits, on dépasse rarement les 7.000 tours car la conduite devient plus râpeuse. La plage d'utilisation se révèle donc beaucoup plus réduite que sur la Kawasaki. Entre 5.000 et 7.000, on joue donc souvent du sélecteur et dans le sinueux, on se retrouve un peu entre deux chaises avec la 2e ou la 3e à passer sans arrêt. Cela n'est néanmoins pas très dérangeant. Non, le seul véritable désagrément, c'est cet affreux bruit type Moulinex qui s'échappe du silencieux standard. Allo, la liste d'options? Faites venir monsieur Akrapovic s'il vous plait…

Le bicylindre en V à 90°, 4-temps refroidissement liquide de la Suzuki rivalise à peu de choses près avec les valeurs du bloc de la KTM: 1.037cc, 101ch et 103Nm. Cela dit, son couple maxi est atteint beaucoup plus tôt: dès 4.000tr/min. La puissance maximale, par contre, arrive plus loin, à 8.000tr/min. Ce couple précoce n'est absolument pas brutal et à l'usage, on ne monte que rarement aussi haut dans les tours pour aller chercher toute la cavalerie. Ce qui nous fait dire que la V-Strom est la moto au comportement le plus neutre des trois. Une machine abordable, facile mais à la personnalité plus effacée.

Après quelques heures de conduite, nous étions unanimes pour dire que la Kawasaki disposait du moteur le plus puissant. Exact au niveau des chiffres. Exact au niveau des sensations perçues. Mais inexact au niveau de la performance pure. Profitant de la longue ligne droite d'une belle nationale, nous nous sommes alignés en 4e vitesse, à allure stabilisée de 60km/h, avant d'ouvrir à fond. Résultat clair, net et sans bavure. La KTM laisse sur place les deux autres motos et la Kawa s'impose d'une courte bulle face à la Suzuki. Nouvel essai en 6e, à 90km/h, et rebelote, la KTM met une nouvelle fessée à ses concurrentes. Cette fois, la Suzuki lui tient tête sur les premiers mètres mais lorsque la cavalerie se met en route, il n'y a plus rien à faire. Derrière par conte, la Versys paye lourdement ses kilos en plus puisqu'elle s'élance en 3e position, avant de finir par reprendre la Suzuki après quelques centaines de mètres.

Le confort

Nos pérégrinations espagnoles sous les caprices d'Eole nous ont, au moins, permis d'enregistrer de nombreuses observations. Plus lourde du lot, la Versys est surtout pénalisée dans les pif-paf. Le poids sur l'avant est conséquent et au bout de la journée, malgré la souplesse de son moteur, si l'on est pas fatigué physiquement, la tension nerveuse s'est quand même révélée intense. Le freinage, actionné par un double disque semi-flottant de 310mm à l'avant et un simple disque 250mm à l'arrière, le tout avec intervention de l'ABS si nécessaire, s'est révélé rassurant en toutes circonstances même si un poil plus de mordant n'aurait pas été dédaigné. La protection offerte par la bulle et le carénage est de bonne facture mais pour une longue étape sur autoroute, une bulle plus haute n'aurait pas été de refus. Même si le moulin le permet, on n'aimera de toute façon pas trop pousser la Versys car à partir de 150km/h, elle commence à légèrement bouger et elle le fera d'autant plus avec un passager. Quant à la position du pilote, finalement assez roadster avec les genoux davantage repliés, elle ne provoque quelques courbatures qu'après une bonne grosse étape.

La protection offerte en hauteur par la bulle de la KTM ne souffre aucune contestation en positon haute. Sur la largeur par contre, avec sa forme très étroite, on encaisse quand même pas mal de vent sur les épaules. La bulle se règle donc sur deux positions mais en roulant, la manœuvre de serrage/desserrage des manettes de fixation n'a malheureusement rien d'évident. Le corps de la 1050 se révèle très fin. Les jambes du pilote sont moins pliées que sur la Versys mais il faudra faire un effort pour bien venir verrouiller les genoux contre le réservoir. L'absence de carénage avant expose d'ailleurs davantage les jambes que sur les autres motos. Les repose-pieds sont placés assez en arrière mais leur design «mâchoire de requin» accroche bien les semelles. Rayon freinage, la fourche a tendance à plonger, ce qui surprend lors des premières manœuvres. Nous avons d'ailleurs trouvé le frein avant un peu mollasson mais heureusement, le frein arrière, lui, brillait par sa grande efficacité. Avec son train avant léger, la 1050 aime jouer dans le sinueux. Corollaire, un petit manque de rigueur s'est fait ressentir à la réaccélération. Enfin, l'Adventure est celle qui a conservé la plus importante orientation off-road. Position du pilote, guidon, repose-pieds, selle fine, petit sélecteur. L'ambiance n'est pas de type Dakar comme sur la 1290 Super Adventure mais avec un tout petit peu d'imagination, on peu quand même s'imaginer grimper les dunes de la Trans Tunisia.

Pour la Suzuki, on retiendra malheureusement qu'elle pèche par sa finition en deçà de ce que l'on est en mesure d'attendre sur un trail adulte. Des fils qui dépassent, des commandes d'option raccrochées aux commodos ou au tableau de bord dans un style after market cheap (antibrouillards), un guidon monotaille peu avantageux, le barillet du top-case qui met les bouts après 50km (la même mésaventure était déjà arrivée à un de mes compagnons de route)… on dirait que la V-Strom vieillit mal face à la concurrence toute récente. Dommage car, sur le mouillé, elle s'en était sortie très honorablement sans cartographie adéquate comme pouvaient en disposer la Kawasaki et la KTM. Sa bulle large – néanmoins un peu trop basse – mais réglable aisément sur deux positions nous avait d'ailleurs bien protégé de la sauce. Dans ces circonstances, nous avions également apprécié son excellent frein moteur, de loin le meilleur des trois. Une aide bien venue pour suppléer un frein arrière, par contre, inexistant.

L'addition générale

Durant nos 3 jours en Espagne, nous aurons eu droit à «un peu de tout». D'abord des nationales pour découvrir l'endroit. Puis le déluge pendant deux jours qui nous a forcé à modérer l'allure et rouler davantage sur le couple que haut dans les tours. Et une dernière magnifique journée le long de la côte et dans les montagnes, sur des routes sinueuses à souhait et idéale pour bien solliciter le moteur et la boite de vitesses. Le verdict à la pompe est donc assez réaliste après quelque 500km plus que variés. La plus économe fut la Suzuki avec 6l et 6,6l. La Kawasaki, de son côté, a enregistré des moyennes quasi similaires avec 6,2l et 6,5l aux 100km. La KTM, quant à elle, s'est révélée un peu plus gourmande avec 6,7l et 7,2l. Soit 0,65l/100km d'écart avec la V-Strom. Tarifées respectivement à 12.599€, 12.993€ et 12.290€, Kawa, KT' et Suz' jouent dans un mouchoir de poche. L'autrichienne se révèle un poil plus chère mais elle ne passera chez son garagiste que tous les 15.000km, au lieu de 12.000km pour les deux japonaises. Bénéficiant toutes les trois également d'une transmission par chaîne, le seul consommable dont le prix diffèrera sensiblement des autres est le 180 arrière de la Versys 1000. Mais bon, à moins de passer votre temps en wheeling et bouffer un boudin par trimestre – mais alors vous vous «gourez» franchement de bécane -, ce point particulier ne devrait nullement influencer votre décision. Un tel ex-aequo, c'est assez rare…

Conclusion

Il n'est pas rare qu'un comparatif, mené aussi rigoureusement qu'il puisse l'être (nous restons des êtres humains) se termine par un bon pile ou face entre deux motos. Ici, on est loin du compte (mais nous restons quand même des êtres humains…). Durant notre périple espagnol, nous avons régulièrement changé de montures. Nous avons comparé nos trois avis, et nos profils de motards sont bien différents, et les conclusions sont très claires. Le premier choix consiste, naturellement, à savoir si vous êtes bicylindre ou quatre cylindres. Et il ne faudra peut-être pas aller chercher plus loin. Si peu vous chaut entre ces deux variantes mécaniques, pas de panique, il n'y a pas moyen de vous «planter» dans votre choix. Vous détestez piocher dans la boite de vitesses, le tourisme, surtout à deux, est essentiel pour vous, vous vous envoyez sans problème 1.000 bornes sur une journée et vous envisagez la moto avant tout pour vous détendre? Foncez chez le dealer Kawasaki le plus proche, la Versys a été créée pour vous. Vous aimez les trails mais vous ne détestez pas pour autant enrouler du câble et jouer sur la route quand les circonstances s'y prêtent? Le duo n'est pratiqué qu'occasionnellement, et encore? Rouler en Espagne, c'est top mais descendre jusque-là à moto, jamais de la vie? Alors la KTM vous apportera pleine satisfaction, allez vite jeter un œil chez un concessionnaire orange! La moto est un passe-temps mais elle vous sert aussi pour aller au boulot, pour faire de petits trajets avec un mode de transport rapide? Vous cherchez une machine pratique, sans trop de tralala? Alors la Suzuki sera votre meilleure alliée, ne tardez pas! Finalement, quand on y pense, c'est simple de choisir…

 


Verdict duo

À quelques exceptions près, toutes les motos possèdent une selle pour passager, qu'elle soit séparée de celle du conducteur ou non. Mais cela ne signifie pas pour autant que le duo soit envisageable, même pour de courtes escapades. Avec un trail, on peut raisonnablement s'attendre à pouvoir avaler du kilomètre en duo. Sur ce comparatif, la Kawasaki Versys l'emporte. Le passager se trouvera particulièrement à l'aise sur sa selle perso dont la forme légèrement relevée vers l'avant empêchera toute glissade. L'espace avec le pilote est important, donc pas de casques qui s'entrechoquent ou de promiscuité trop prononcée. Aucune gêne aux pieds, jambes détendues, position relax, larges poignées pour se maintenir, le bilan est excellent. Et avec le top-case derrière le dos, on piquerait volontiers un petit roupillon…

Juste derrière la Versys, nous classons la Suzuki. Cette fois-ci, la selle est unique mais le passager dispose également d'un petit relief qui évitera de devoir trop se cramponner pendant les freinages. En outre, sa surface un peu granuleuse accroche bien les textiles. On note même un peu plus d'espace entre le pilote et le passager que sur la Kawa mais si la V-Strom ne remporte pas cette épreuve du duo, c'est à cause de ses poignées de maintien assez étroites et, surtout, du manque d'espace aux pieds. Au moindre mouvement, ceux-ci toucheront en effet immanquablement les supports de valises.

Sur la KTM, on n'est pas franchement mal assis. Mais le duo s'envisagera plutôt en couple déjà formé (sinon, ça peut aider…). La selle se révèle définitivement plus petite et plus étroite, les corps sont beaucoup plus rapprochés, les pieds se touchent et les poignées ne sont, elles non plus, pas très grandes…

 


L'instrumentation

Le tableau de bord de la Kawasaki n'a rien d'extravagant mais il se révèle complet et facile à utiliser. La partie gauche est occupée par le compte-tours. À droite, on retrouve un écran digital avec la jauge, l'indicateur de puissance moteur, l'indicateur de contrôle de traction, la vitesse. Le pilote a ensuite le choix entre la température extérieure ou la température moteur ou alors l'odomètre, le trip A ou B, la consommation instantanée, la consommation moyenne, l'autonomie et l'horloge.

Si l'on se réfère à la liste des indications du tableau de bord de la KTM, on pourrait craindre l'usine à gaz. Il n'en n'est rien. Tout se commande assez aisément à partir d'un commodo type joystick. Après, si vous voulez vous amuser à paramétrer tout le toutim, c'est autre chose… La partie droite du compteur indique donc les tours/minute, le rapport engagé, la jauge, la température moteur, l'horloge, le mode de conduite et la vitesse. L'écran de gauche vous offre six affichages différents. 1: affichage des favoris (5 infos à choisir). 2: sélection du mode de conduite (sport, street, rain, off-road). 3: réglage MTC/ABS/ABS mode. 4: réglages (langue, unité de mesure…) et infos générales (température extérieure, date, odomètre, batterie, température de l'huile). 5: trip 1 (5 infos). 6: trip 2 (5 infos).

Quant au tableau de bord de la Suzuki, son design est un peu vieillot. À gauche, le compte-tours avec aiguille et une partie LCD avec un premier pavé rapport engagé et vitesse et un second pavé avec température du moteur, jauge, contrôle de traction, température extérieure, horloge. À tout ceci, il faut encore ajouter une première sélection entre trip A, trip B et odomètre et une seconde sélection entre consommation moyenne, autonomie, charge de la batterie et consommation instantanée.


Un comparatif signé Laurent Cortvrindt avec BW & PP publié dans le Moto 80 n°775 de juin 2015.