Interview Roland Sands: Héritage Performant…

Classic Laurent Cortvrindt
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Ce n'est pas tous les jours que l'un des plus grands noms du milieu custom vous ouvre les portes de son entreprise et de son atelier, à Los Angeles. Et quand le maître himself se prête au jeu… même notre photographe n'en croit pas ses yeux!

Racines compétition

Le premier magasin de Roland Sands Design (RSD) a ouvert ses portes à Los Alamitos, près de Los Angeles, en Californie. À l'intérieur, des motos customisées, des vêtements et accessoires griffés RSD, des casques Bell redesignés, un atelier, des bureaux… le tout aménagé et décoré à l'américaine. Parmi ses clients célèbres, Roland Sands compte Mickey Rourke et Travis Pastrana. Entre autres, car difficile d'obtenir des noms, tant le préparateur se montre discret à propos de l'identité de ceux qui lui passent commande… Il faut dire que depuis quelques années, RSD est devenu une véritable référence dans le milieu du custom, pour les préparations comme pour le développement d'une gamme complète d'accessoires, à l'instar du travail réalisé pour la toute récente Ducati XDiavel. RSD, c'est un style agressif mais soigné et, surtout, mêlé de références au passé. C'est pourquoi l’équipe de Californiens travaille souvent sur une base récente. Il y a quelques mois, on a d'ailleurs vu RSD lié à la future XSR900 de Yamaha. Avant la présentation officielle de celle-ci au grand public, une vidéo «teasing» mettait en scène un Roland Sands «himself», occupé à travailler sur une sorte de MT-09 très sauvage, toute de jaune vêtue afin de rendre hommage à Kenny Roberts. Peu après, la XSR900, second chapitre de la gamme Faster Sons de Yamaha, voyait le jour.

Cet hommage à l'ancienne star des GP n'est pas fortuit. Les racines de Roland Sands Design sont ancrées dans le monde de la compétition et, aujourd'hui, l'entreprise s'est spécialisée dans la personnalisation des motos et la création de machines uniques. L'inspiration est puisée dans l'amour de la performance et des motos, avec pour objectif d'imaginer des produits exclusifs. C'est pourquoi l'équipe de Roland Sands se compose de techniciens et de pilotes possédant un savoir-faire unique dans le domaine des motos sportives, des trails, des supermotos ou des customs. Cette diversité leur permet de collaborer avec les plus grandes marques sur divers projets: BMW, Ducati, Dunlop, K & N Filters, Harley-Davidson, Panasonic, Performance Machine, Piaggio, Polaris, Toyota, Triumph, Vance & Hines et bien entendu, Yamaha.

32 fractures puis un crayon

Né le 12 août 1974, Roland Sands est originaire de Long Beach, en Californie. Sa première moto, une RM 50 de cross, lui est offerte pour son 5e anniversaire. Après quelques minutes seulement à son guidon, il tombait et se fracturait un os. Mais le virus l'avait atteint… Sa passion pour la vitesse sur deux roues l'amena à faire de la compétition, en professionnel, durant 10 ans. Il s'offrit de nombreuses victoires partout dans le monde, remportant en 1998 le titre AMA (American Motorcyclist Association) en 250. Mais après sa 32e fracture, Roland Sands décidait de remiser son cuir et de le troquer pour un marteau, un crayon et un ordinateur. Il se lançait dans la conception et la fabrication de motos personnalisées. En 2005, Roland Sands fondait Roland Sands Design. À la fois influencée par l'univers des sportives et des choppers, sa société a joué un rôle essentiel dans la popularisation des motos personnalisées hautes performances auprès du grand public.

Roland et ses créations ont remporté de nombreux trophées au fil des ans: trois fois le V-Twin Wheel Design of the year, le Industry Leader of the Year, le V-Twin Control Design, le Chip Foose Design of Excellence Award à Sturgis, les 2e, 3e et 4e places en catégorie Modified Harley lors du World Championship of Custom Bike Building, le V-Twin Award Trendsetter of the Year, le Biker Build Off Champion de la chaîne Discovery Channel, le Biker Build Off Rookie of the Year ou encore le 2Wheel Tuner Brappy Award. Roland Sands et ses créations ont fait l'objet de plus de 500 articles dans le monde entier. Et il possède à son actif plus de 100 couvertures de magazine. Roland Sands est présent lors de la majorité des grands rassemblements dédiés à la moto aux États-Unis et sur de nombreux salons internationaux. Pas étonnant qu'un tel personnage ait même été la vedette de plusieurs émissions de télévision…

 

L'interview de Roland Sands

Moto 80: Quelle est votre moto de production préférée?

Roland Sands: Hum… c'est compliqué… C'est même impossible de donner une réponse car trop de styles différents existent, des motos qui peuvent être utilisées dans des circonstances très diverses. Je ne peux vraiment pas en choisir une car j'aime faire du cross, rouler sur circuit, j'adore le flat-track et, de temps en temps, j'apprécie une balade en toute simplicité. En outre, est-ce qu'il faut rouler seul ou prendre un passager? Désolé, je décline cette question difficile! (rires)

Votre idole chez les pilotes, toutes générations confondues?

Probablement Kenny Roberts. Oui, Kenny Roberts! C'était un as! Il a dominé tout le monde en Grand Prix. Et patriotisme oblige, je vote pour un Américain! Mais plus fondamentalement, Kenny Roberts a transposé ses compétences de pilote de flat-track au circuit, il a vraiment apporté quelque chose, un nouveau style.

Votre circuit favori, peu importe la discipline?

Peut-être celui de Mid-Ohio mais réasphalté alors, ce serait beaucoup plus sympa. Sinon je me souviens que Jerez et Catalunya étaient géniaux également mais ça remonte plus loin dans mes souvenirs. Laguna Seca est un peu effrayant mais aussi terriblement amusant. The Circuit of the Americas reste sans doute le tracé le plus sécurisant sur lequel il m'a été donné de rouler. J'aime ces circuits avec de l'herbe tout autour.

Votre discipline moto préférée?

Je vote pour les Grand Prix, sans hésiter.

Un style de musique ou un groupe préféré, actuellement?

J'écoute pas mal de Willie Nelson, c'est de la vieille country. Mais je suis assez éclectique niveau programmation musicale.

Un plat qui vous fait craquer?

Les sushis!

Et une voiture?

Je roule depuis peu en Porsche 911 GT3 et j'avoue que c'est une voiture absolument fantastique. J'ai conduit pas mal de belles Mercedes mais cette GT3, c'est tout simplement l'auto ultime. Vous pouvez la pousser tellement loin dans ses retranchements, elle continue quand même à se montrer d’une telle réactivité, c'est vraiment impressionnant. Le retour d'information est permanent, vous savez toujours «où vous en êtes» à son volant. C'est ma première Porsche mais certainement pas ma dernière!

Une destination de vacances de prédilection?

Un endroit où je peux m'adonner à ma nouvelle passion: le Timbersled (NDLR: croisement entre une moto de cross et une moto-neige). Donc un endroit enneigé, pour faire le plein de sensations!

Avez-vous un modèle dans la vie?

Mon père, assurément.

Et pour conclure cet apéritif, la question que tout le monde se pose en Europe: Hillary ou Donald?

Put***, aucun des deux mecs! Les deux sont un désastre, vous n'imaginez pas à quel point cela peut m'embarrasser qu'ils puissent nous représenter…

En quoi votre expérience professionnelle influence-t-elle votre travail ou la façon de diriger Roland Sands Design?

Je pense que j'en tire essentiellement une éthique de travail. En fait, j'ai toujours travaillé dur, en vue d'obtenir des résultats. C'est une valeur que mon père m'a transmis. Ajoutez quelques prédispositions à cette énorme volonté et au travail que vous abattez et vous pourrez expliquer à vos collaborateurs ce que vous attendez d'eux. C'est une excellente combinaison. Cela dit, j'ai appris de différentes personnes très talentueuses pour comment diriger une entreprise. Et aujourd'hui, j'essaye de toujours fournir davantage que ce que le client attend. Et ce, quel qu’il soit: un particulier qui m'a commandé une moto ou une marque renommée. Faire le minimum pour satisfaire ou penser uniquement à l'argent, ce n'est pas ma façon de voir les choses. En tant que groupe, nous sommes très fiers de ce que RSD (Roland Sands Design) parvient à accomplir.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui voudrait se lancer dans le business du custom?

D'un côté, je pense que construire les motos que le public apprécie aujourd'hui se révèle relativement simple. Car une moto dénudée plaira à beaucoup de monde. Rendre une moto aussi simple que possible, faire une machine «brut», ne pose pas trop de soucis. On ôte le dispensable, on remet quelques pièces judicieuses… et ça le fait si vous avez le bon œil. Mais de là à en faire un business… c'est tout à fait autre chose! Je conseillerais de faire ce job pour le fun, et parce que vous aimez ça. Si vous vous lancez parce que vous croyez pouvoir vivre de votre affaire, c'est plus compliqué à accomplir. Il faut vendre, livrer, diriger… 80% du business n'a rien à voir avec l'amusement ou la créativité. C'est un point qu'il faut bien prendre en considération, ce que tout le monde ne fait pas forcément. Idéalement, entourez-vous de personnes qui réaliseront certains aspects du travail mieux que vous. De la sorte, vous serez davantage en mesure de vous concentrer sur la productivité. Ma sœur, par exemple, est ma General Manager. Elle agit un peu en pare-choc pour moi et s'occupe de tout ce côté business, histoire que je puisse rester impliqué dans les tâches qui me plaisent.

Êtes-vous devenu un homme d'affaires ou parvenez-vous encore à créér?

J'ai toujours été et je reste un designeur. Concevoir des motos est venu ensuite, même si la transition fut assez naturelle car j'ai baigné dans la moto et le dessin de pièces détachées. Après avoir travaillé sur des quantités de pièces, il y a une quinzaine d'années, je me suis dit que j'allais les assembler. Mais oui, j’ai encore les mains dans le cambouis, je suis au quotidien dans mon bureau et mon atelier, même si je dois laisser la production finale à mon équipe. J'aimerais, de temps en temps, encore m’occuper de cette étape. Mais c'est impossible, je n'ai plus le temps pour ça.

RSD, ça représente quel volume de production?

Je dirais, en moyenne, de 20 à 30 machines par an. Un projet peut prendre une petite semaine comme il peut s'étaler sur plusieurs mois. Aussi, chaque année se révèle vraiment différente. En 2015, nous avons également sorti plusieurs concepts: Yamaha, BMW, Ducati et Victory. Ce fut vraiment une année très intense.

Votre style est très «classe», avec une attention prononcée pour les détails. Quel serait le custom parfait?

Le custom idéal devrait se montrer très polyvalent, histoire qu’on puisse l'utiliser dans différentes circonstances. Je vois la polyvalence à moto comme le nouveau luxe. Rouler sur terre et sur route, être assis confortablement pour se balader, traverser les routes des canyons, transporter des affaires… Un custom qui permettrait tout cela serait vraiment cool!

Quelle moto moderne vous a «scotché»?

Si l'on voit la chose du côté «travail de designeur», je pense que le Scrambler de Ducati a apporté au monde de la moto exactement ce qui lui fallait. Le Scrambler s'adresse à la fois aux motards et aux personnes extérieures au monde de la moto. Je trouve que Ducati a fait un excellent travail. Mais si le design se révèle au top, les performances restent médiocres. Dommage, parce que l'idée est excellente et l'industrie a besoin de ce genre de projets. Je pense d'ailleurs que l'on va en voir d'autres, comme la MT-09 de Yamaha qui a frappé juste niveau qualité-prix. Cette moto s'adresse d'ailleurs davantage aux «vrais» motards car ses performances sont en tous points supérieures à celles du Scrambler. Mais Ducati a poussé le marketing beaucoup plus loin, pour toucher davantage de monde. J'espère qu'Harley-Davidson va nous sortir prochainement une moto extra. Ils doivent absolument casser la baraque avec un modèle inédit et ne pas s'endormir sur leurs lauriers. La Street 750 n'est pas une mauvaise moto mais elle fait vraiment «cheap». La conception d'une nouvelle machine prend du temps. Si vous n'êtes pas sans cesse occupé à essayer de créer une nouvelle tendance ou, au minimum, à vous montrer proactif, vous prenez vite de 3 à 4 ans dans la vue.

Pouvez-vous transformer une machine avec 5.000€?

Bien sûr! On peut déjà changer énormément de choses simplement grâce à ses mains! Le custom accessible, c'est virer tout le brol inutile. C'est parfois largement suffisant pour rendre une moto cool. Avec 5.000 balles, n'importe quelle moto peut devenir sympa! Créativité et travail sont les maîtres-mots! Les accessoires constituent une solution facile…

Le développement de l'électronique rend-il votre métier plus compliqué?

Oui et non. Parfois, il faut se dire que la bonne option à prendre consiste à travailler «autour» de l'électronique et ne pas y toucher. Mais ça ne signifie pas pour autant que le travail sera moins bien. Le contrôle de traction, par exemple, c’est vraiment du pain bénit pour une moto de sport! Ça vous permet d'accomplir tellement plus de choses au guidon!

Comment voyez-vous le futur du custom? Est-ce une mode?

Les gens me posent cette question depuis quinze ans… Je l'ignore! S'il y a un côté «mode»? Oui… sans doute… en réalité, je ne sais pas car je fais, quelque part, toujours la même chose! Mais effectivement, si l'on excepte Harley-Davidson, la polyvalence et le custom ont pénétré les gammes des marques depuis deux ans. Le travail de Yamaha en constitue un excellent exemple. La BMW R nine-T ou les Indian, en général, sont d'excellentes bases de customisation, la Ducati XDiavel, pour laquelle RSD a développé toute une gamme d'accessoires, aussi…

Ceux qui ne vous connaissaient pas encore vous ont certainement découvert avec la Yamaha Yard Built «Faster Wasp»…

J'aime dessiner une moto avec un client, surtout s'il sait vers quelle direction aller. Avec Shun Miyazawa, Product Manager de Yamaha Europe mais aussi l'homme derrière Yamaha Yard Built, je dessinais le projet dans mon bureau en pensant à quelque chose «vintage superbike». J'étais très inspiré par des images du passé, par Kenny Roberts… Toutefois, le public l'a davantage perçue comme une «vintage flat-tracker», sans doute à cause des plaques avant et latérale et de son look général, notamment avec son guidon haut. C'était cool, bien sûr, que cette connexion se fasse dans les esprits. Cette Faster Wasp fut, en tout cas, un projet très amusant à réaliser!

Pour vos créations, puisez-vous votre inspiration quelque part?

Je ne sais pas… Je pense que j'essaye surtout de me projeter dans le futur. J'aime l'idée que mes motos soient encore à la page d'ici quelques années. Mais elles doivent proposer une ligne classique, une référence au passé. C'est comme si on mélangeait la mentalité de la compétition à notre héritage tout en portant la plus grande attention aux détails qui font la différence, le tout emballé dans une qualité de fabrication hors pair. Cet esprit résume notre style actuel. Si vous regardez les projets RSD, vous constaterez que nous n'utilisons pas de vieux machins. Nous sélectionnons les meilleurs produits et notamment beaucoup de pièces très modernes issues de la compétition. J'aime les motos qui proposent un style «héritage» mais qui déménagent au niveau des performances.

Dans votre magasin, on retrouve notamment des vestes ou des pantalons «brandés» RSD. Les vêtements: un passage obligé?

Quand nous avons commencé, personne ne fabriquait ce genre de fringues. Un cuir «héritage» sympa, avec les protections ad hoc: c'était introuvable sur le marché. Nous nous sommes donc lancés pour produire des vêtements qui procurent un style impeccable, des accessoires agréables à porter, avec des poches pratiques mais aussi une ventilation utile et des protections indispensables. Avec ces fringues, vous développez un vrai style. C'était une démarche innovante. Les vestes, pantalons et gants sont développés et conçus par RSD. C'est notre propre marque. Pour les casques, nous travaillons avec Bell, qui me suit depuis mes années en compétition.

Pour suivre l'actualité de Roland Sands:
www.rolandsands.com