Suzuki GSX-8S: La revanche du retour contre-attaque!

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Découvrez, en intégralité, cet essai signé Bruno Wouters paru dans le Moto 80 #869!

Eh oui, depuis le temps, on commençait à désespérer de ne plus espérer ! C’est peu dire que l’actualité Suzuki de ces dernières années tenait plus de l’encéphalogramme plat que de l’hyperactivité, l’abandon du MotoGP cassant encore les optimismes les plus modérés ! Quand, tout à coup…

Texte: Bruno Wouters – Photos: Jonathan Godin

Les plus anciens s’en rappelleront, du temps où les quatre japonais monopolisaient la quasi-totalité du marché du deux-roues, Suzuki n’étant pas le dernier. Parlons-en, de Suzuki ! Ses machines deux temps firent rêver plus d’une génération, comme vous avez pu le lire sous la plume émue de Marc Ysaye, qui vous contait le mois dernier ses émois au guidon de sa T500 Titan. Rappelez-vous encore de la GT 750, première machine de grande série refroidie par eau, ou l’incroyable RG500 Gamma et son quatre cylindres en carré ! Puis vint le temps du quatre temps, avec là aussi quelques fameuses machines : les Katana (les vraies, celles des années ’80 !) et leur design innovant (clivant ?), les GSX-R qui donnèrent naissance à une nouvelle génération de sportives, la DR800 avec son bec de canard, devenu le signe de ralliement d’un paquet de trails boursouflés, et son monocylindre à la capacité encore invaincue à ce jour, l’Hayabusa donnée pour près de 320 km/h avec son carénage travaillé en soufflerie (« Ghost Rider » lui adjoindra un turbo, histoire de booster ses performances sur les vidéos qui l’ont rendu célèbre).

Pour la petite histoire, sachez encore que Suzuki fut un des rares constructeurs de motos, et le seul japonais, à avoir produit et commercialisé une machine à moteur rotatif Wankel, la RE-5. Le célèbre designer italien Giorgetto Giugiaro œuvra sur son design… Alors, bien sûr, avec un tel passé, une telle histoire, il faut reconnaître que ces dernières années, à ne jouir que de énièmes resucées de V-Strom ou de SV, on finissait par se demander si Suzuki s’intéressait encore à nos marchés… La réponse est oui, la preuve avec les flambant neuves V-Strom 800 DE et la GSX-8S qui nous occupe aujourd’hui !

Le retour

Bon, d’accord, le noir, ça ne fait pas très folichon et ça ne claque pas sur les photos, mais nous sommes déjà bien contents d’en avoir dégotté une avant tout le monde, arrivée en avion, rien que ça ! Et pour la couleur, c’est votre faute : il paraît que vous n’achetez que du noir… Alors, les vieux, rappelez-vous les couleurs flashy des belles de votre jeunesse passée et les jeunes, faites preuve d’autant d’audace que vos (grands-?) parents en leur temps, m… ! Mais revenons à nos moutons, la GSX-8S, tout droit sortie d’une page blanche ! Enfin, avec un sacré regard sur la concurrence tout de même… L’insolent succès de la MT-07 depuis des lunes a dû pas mal motiver les gars d’Hamamatsu (et d’ailleurs, d’ailleurs !). Donc nous avons droit à un bouilleur tout neuf dans un châssis non moins neuf, le tout habillé d’une peau toute neuve. Voyons ça…

Pièce maîtresse, et déjà décliné sur deux modèles (sans plateforme, point de salut ! C’était vrai en automobile, ça le devient pour les deux-roues !), le moteur. Le choix s’est porté sur une architecture bicylindre vertical, donc fine et compacte. Avec sa distribution par double arbre à cames et quatre soupapes par cylindre et son calage à 270°, Suzuki s’est donné les moyens de proposer un tempérament marqué, mais accessible au plus grand nombre. La courbe de puissance se révèle en effet assez régulière, tandis que le couple se montre généreux sur une large plage de régime. La puissance, 83ch, se situe à mi-chemin entre le cador de la catégorie, la Yamaha MT-07 (73,4 ch) et « LA » concurrente de la Suz’, la nouvelle Honda Hornet, donnée pour 92 ch. Les vibrations sont muselées par deux balanciers (un par piston), chacun positionné à égale distance du vilebrequin. L’alimentation à commande « Ride-by-Wire » est assurée par deux papillons de 42 mm.

Page blanche

L’échappement, particulièrement compact, se niche sous le moteur et l’articulation du bras oscillant. Rien de particulier pour la transmission : boîte six vitesses et embrayage à glissement limité pour faciliter les rétrogradages. Côté électronique, Suzuki ne s’est pas encombré d’une centrale inertielle, guère nécessaire dans le cas présent, mais propose malgré tout le minimum syndical. Notons donc le « Suzuki Drive Mode Selector » (SDMS), le « Suzuki Traction Control System » (STCS), mais aussi le quickshifter haut et bas, l’Easy Start et le Low RPM Assist. Le SDMS dispose de trois modes. Le mode « A » (Acive) offre la réponse la plus nette à l’ouverture des gaz, de quoi se lâcher sur les routes qui le font bien. Le mode « B » (Basic), plus lisse, offre la même puissance, mais délivrée de manière plus douce : le mode « tourisme » en quelque sorte. Le mode « C » (Comfort) rend la réactivité à la poignée de gaz encore plus souple, de quoi affronter les conditions climatiques médiocres plus sereinement, ou pratiquer le duo de manière plus décontractée, mais toujours sans perte de puissance.

Le STCS permet au pilote de choisir entre trois niveaux de contrôle ou carrément de désactiver le système. Le mode 1, le moins intrusif, se destine à la conduite sportive, le mode 3 aux routes glissantes, le mode 2 proposant un compromis entre les deux. Tant le contrôle de traction que le choix des modes de conduite ne sont présents que grâce à la commande de gaz électronique : fini, les câbles de gaz ! L’Easy Start est l’anglicisme décrivant le fait qu’il suffit d’une impulsion sur le bouton de démarreur, celui-ci se désengageant automatiquement dès que la mécanique est lancée. L’assistance bas régime est programmée pour empêcher le régime moteur de chuter excessivement lorsque le pilote démarre la moto, de quoi faciliter les départs, les manœuvres et la progression à très basse vitesse.

Recettes éprouvées

Le châssis, lui aussi inédit, est conçu en tubes d’acier de différents profils et sections. Semi-ouvert, il enserre le moteur qui participe ainsi à la rigidité de l’ensemble. Une jolie boucle tubulaire en acier se boulonne au cadre principal. Élégamment mis en valeur (je ne parlais pas du noir…), il participe au look de la moto. Le bras oscillant est réalisé en aluminium. KYB fournit les suspensions, une fourche inversée de 41mm de diamètre et un monoamortisseur monté sur biellette, réglable en précontrainte. Du classique pour le freinage avec deux disques de 310 mm pincés par des étriers radiaux à quatre pistons, un disque de 240 à l’arrière avec étrier à simple piston. Le poids annoncé, de 202 kg tous pleins faits, handicape la Suzuki sur le papier : la Honda est donnée pour 190 kg, la Yamaha pour 184 kg.

Sous le regard du pilote, la devenue incontournable dalle TFT couleur de cinq pouces parfaitement lisible en toutes circonstances et affichant en permanence le compteur, le compte-tours, l’heure, la jauge à essence, la température moteur, le rapport engagé, les modes de puissance et de contrôle de traction retenus puis, successivement, l’odomètre et le voltmètre, les trips 1 & 2, les consommations moyennes (1 & 2), la conso instantanée et l’autonomie restante. Au choix, mode jour, nuit ou automatique. Le combiné est commandé depuis la main gauche par un basculeur haut – bas et un bouton mode. Plus simple et efficace, c’est difficile ! L’éclairage est confié à des LEDs, deux éléments hexagonaux empilés verticalement et encadrés par de fines « moustaches » accentuant les formes acérées de la face avant, librement inspirées des GSX-S. Le feu arrière est rejeté en arrière et surplombe le support de plaque, affinant de facto la poupe. Pour les nostalgiques des grandes années de la GSX-R, sachez que cette 8S peut se voir parée d’une robe « Pearl Cosmic Blue » du plus bel effet, de même que la livrée « pearl Tech White » mêlée d’accents de bleu pour les roues et la boucle arrière. Pas de doute, ça claque mieux que le noir corbillard !

De la gueule

Bien que modérément (très modérément, en fait…) fan de ce style de design « manga » visiblement incontournable pour ce type de machine et malgré sa robe foncée, je ne peux m’empêcher d’être séduit par la ligne de cette nouvelle Suzuki. Sont-ce ses proportions, un peu plus étirées ? Le travail de la proue ? Le travail sur ces écopes effilées pointant vers l’avant, le bloc optique, agressif mais chiadé, voire même le travail du garde-boue avant, soigneusement dessiné ? Est-ce l’échappement, réduit à sa portion congrue ? Est-ce la boucle arrière joliment mise en valeur et prolongée par une fine petite poupe ? Voire même le côté usine à gaz du moteur, qui montre que c’est là que ça se passe ? Bref, je ne me reconnais pas : j’adhère ! Et, une fois en selle, j’adhère encore plus : le triangle selle – guidon – repose-pieds sied parfaitement à ma morphologie et mon mètre quatre-vingt : la position de conduite est juste parfaite… Une impulsion (l’Easy Start…) sur le bouton de démarreur et le twin s’ébroue, dans un ronflement poli mais expressif.

Les premiers kilomètres dévoilent une machine à la prise en main déconcertante de facilité : la Suz’ se donnera au plus grand nombre. Je commence à jouer avec les commandes au guidon, une impulsion sur le bouton Mode et je peux régler le Traction Control avec le basculeur. Une deuxième impulsion et c’est au tour des modes de conduite. Une troisième impulsion sur le bouton Mode et les flèches Haut et Bas font défiler toutes les infos. C’est particulièrement simple et efficace, avec un combiné qui ne nécessite pas d’écarquiller les yeux pour déchiffrer les informations, toutes parfaitement lisibles. J’ai en particulier apprécié l’irréprochable affichage du compte-tours. Belle réussite pour le moteur, conforme aux attentes après lecture de la fiche technique.

Du coffre

Puissant mais très linéaire, il pousse velu sans forcer, sans coup de pied au cul ou déchainement intempestif. On pourrait l’aimer plus caractériel, mais il remplit toutes les cases avec une poussée franche et continue sur toute la plage de régime, une aisance à reprendre avec vigueur dans les mi-régimes, une bonne volonté dès les plus basses rotations, disons 2.000tr/min en sixième en caressant la poignée de gaz, et ça pousse haut dans les tours jusqu’au rupteur. Cerise sur le gâteau, les deux balanciers gomment toute vibration gênante, de quoi enquiller du kilomètre sans faiblir. A l’usage, cette balance efficacité – tempérament se révèle bien agréable à vivre ! Rien à dire sur la transmission, hormis que le quickshifter manque un peu de transparence et n’arrive pas tout à fait à me convaincre, et ce n’est pas une spécificité propre à cette Suzuki… Forcé d’enquiller une bonne dose d’autoroute pour rejoindre notre « Jon » national sur ses spots favoris, je suis surpris par le confort prodigué par ce roadster : les jambes pas trop repliées, le buste en très léger appui sur les poignets, de quoi affronter sereinement la pression du vent. Durant une heure trente, mon fessier a le temps d’apprécier le moelleux de la selle, mais le bas de mon dos apprécie moins la sécheresse de réaction de la suspension sur les raccords transversaux… Les petites routes ardennaises font ressortir le bel équilibre de la partie-cycle.

De l’équilibre

Agile et facile à balancer, la Suzuki met rapidement en confiance, une confiance confirmée dans les grandes courbes rapides, où la GSX-8S excelle avec une stabilité hors de tout reproche. Une parfaite balance, ici encore, avec toutefois un petit bémol, car cette rigueur est obtenue au prix d’une suspension relativement raide et peu encline à effacer en douceur l’état catastrophique du revêtement de nombreuses routes belges. Cette raideur devient toutefois un avantage lors de ré-accélérations vigoureuses ou de freinages puissants, avec une assiette stable renforçant encore la confiance. Deuxième bémol, le ressenti au freinage. Pas qu’il soit critiquable en soi, mais la commande manque de feeling, avec une attaque peu mordante et un effort réel à fournir à la poignée. Amateurs de freinage de trappeur avec deux doigts sur le levier, passez votre chemin ! Suzuki devrait urgemment revoir le choix de ses plaquettes et en privilégier de plus mordantes !

Conclusion

Cette Suzuki ne déroge pas à la règle. Facile d’approche, elle peut d’abord un peu laisser sur sa faim, puis au fil des kilomètres, on s’attache, on apprécie la justesse de la proposition. Sans effet de manche spectaculaire, elle dévoile une redoutable efficacité doublée d’une simplicité d’usage apaisante. Oui, elle peut se révéler amusante, mais surtout, oui, elle se montre efficace en toutes circonstances. Son look, s’il reprend le vocabulaire en vigueur, ne manque ni de style ni d’originalité, la finition est plus que correcte. Un tarage légèrement plus souple des suspensions, un autre choix de plaquettes et je ne vois plus trop quoi lui reprocher. Si, l’absence d’un modèle dépourvu de quickshifter, proposé à un prix d’attaque plus convaincant !