Interview Dai Arai, le « père » de la transmission DCT de Honda

Actualités Motos Vincent Marique
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En 2010, Honda présentait son interprétation sur le marché des deux-roues motorisés de la technologie DCT, la transmission à double embrayage. Le premier modèle Honda à disposer de cette DCT était la VFR1200F. Depuis, pas moins de 10 modèles ont bénéficié ou bénéficient encore de cette technologie à la fois intuitive et performante.

Pour célébrer ce 10e anniversaire de la DCT, nous vous proposons cette longue interview de l'ingénieur en charge de son développement, Dai Arai. Un vrai passionné!

Dai Arai a rejoint Honda en 1999 et aura été le principal maître d’œuvre de la technologie DCT pendant 10 ans.

Quelle est l’origine du double embrayage DCT?

«Avant mon arrivée chez Honda, il y avait déjà eu plusieurs générations de transmissions automatiques comme la HondaMatic des années 70 qui utilisait un convertisseur de couple ou bien encore la transmission HFT (Human Friendly Transmission) installée sur la DN01. L’idée de faire une transmission automatique pour moto était donc dans l’air depuis plusieurs années avant l’arrivée de la VFR1200F qui a été la toute première à avoir été équipée de la technologie DCT. La différence majeure entre la technologie DCT et les précédentes est qu’elle génère bien moins de pertes mécaniques et offre donc des sensations beaucoup plus directes et sportives.»

Quel a été le problème le plus complexe à résoudre?

«Tout a été compliqué lors du développement de la première génération de DCT qui équipait la VFR1200F. Personne n’avait réussi à appliquer cette technologie à la moto auparavant, donc cela a été extrêmement difficile de tous les points de vue, mécanique comme logiciel. Cela a d’ailleurs été la première fois ou les ingénieurs spécialistes des transmissions ont dû intégrer la notion de contrôle électronique. Du côté mécanique, nous avons dû développer des carters qui pouvaient être utilisés à la fois avec une transmission conventionnelle et une transmission DCT, afin de pouvoir proposer les deux versions dans une même partie-cycle. C’est pourquoi nous avons choisi la solution des arbres de boîte concentriques, pour obtenir un ensemble le plus compact possible. Réussir à avoir un ensemble robuste et fiable dans un espace si faible a été un vrai défi. Un autre défi a été celui de limiter au maximum les bruits de transmission. Dans la mesure où le mécanisme de sélection est le même que celui d’une machine conventionnelle, une boîte DCT fait exactement le même bruit lorsqu’elle engage un rapport. Pour certains utilisateurs, entendre ce bruit sans appuyer sur un sélecteur et alors que la moto est en mode automatique pouvait paraître perturbant, donc réduire ce bruit a été l’un de nos gros chantiers. Du point de vue logiciel, programmer les séquences de passage des rapports a été extrêmement complexe avec cette nouvelle technologie. Encore une fois, personne n’avait jamais essayé de faire un tel système auparavant et il nous a fallu des milliers d’heures pour parvenir à définir la bonne cartographie pour le passage des rapports.»

Selon vous, quel a été le progrès le plus significatif sur la technologie DCT au cours de ces 10 ans?

«Il n’est pas possible de citer un point en particulier parce que le système a évolué en permanence au cours du temps, avec des changements qui ne concernait pas simplement la DCT mais qui amélioraient l’ensemble des caractéristiques de fonctionnement spécifiques à tel ou tel modèle. Toutefois, l’une des plus grosses évolutions a été la mise au point du retour au mode automatique lorsque l’on utilise les palettes au guidon pour sélectionner un rapport. Cela représente un travail de programmation considérable pour rendre le retour en mode automatique aussi intuitif que possible parce que vous devez d’abord calculer les conditions de conduite et surtout les intentions du pilote, par exemple souhaitait-il descendre un rapport à l’approche d’un virage ou au contraire monter un rapport pour aborder une ligne droite… Il ne s’agissait pas simplement de commander au système de revenir au mode automatique après un certain délai. Nous avons également fait évoluer la manière dont l’accélérateur réagit lors du passage des rapports, notamment pour s’accorder aux changements de régimes et faire en sorte que ces passages soient les plus doux possibles. Ces évolutions ont nécessité un énorme travail de synchronisation avec le système de gestion de l’injection électronique PGM-FI. Nous avons aussi développé le système “Adaptive Clutch Capability Control” qui fait appel à l’électronique du DCT pour faire très légèrement “patiner” l’embrayage lorsque la poignée des gaz est actionnée alors qu’elle était totalement ouverte ou totalement fermée. Ce système contribue vraiment à adoucir le comportement de la moto. D’un autre côté, la “commande G” que nous avons inaugurée sur la CRF1000L Africa Twin puis installée plus tard sur le X-ADV limite le glissement de l’embrayage pour donner une sensation plus directe de la traction de la roue arrière. En tout-terrain notamment, cette évolution peut permettre à certains utilisateurs de mieux générer les dérives de l’arrière. Sur la Gold Wing, nous avons aussi réussi à associer la transmission DCT avec différents modes de pilotage, notamment grâce à une commande des gaz électronique. Accessoirement, cela permet aussi de réduire le temps de passage des rapports. Enfin, sur la dernière génération d’Africa Twin, coupler la transmission DCT avec la centrale inertielle a aussi contribué à faciliter le passage des rapports en courbe puisque l’IMU fournit des données précises sur l’angle d’inclinaison. Ainsi, le système DCT a été amélioré tout au long des années et il continuera à l’être. C’est l’un de ses gros avantages, nous pouvons toujours continuer à l’améliorer.»

Personnellement, comment décririez-vous les avantages du double embrayage?

«Pour moi, la chose la plus importante est la quantité de “cerveau” libérée par le double embrayage DCT et qui permet à l’utilisateur de profiter davantage de ce qui fait le plaisir de la moto : prendre des virages, aborder des lignes droites ou jouer avec les freinages et les accélérations. L’autre chose est le fait que le DCT est à la fois facile et direct. «Facile» signifie qu’il n’y a pas besoin de recourir à un embrayage lorsque l’on est dans la circulation, qu’il n’y a pas de risques de caler ou de taper son casque avec celui du passager sans arrêt. «Direct» fait plutôt référence à la rapidité du passage des rapports, la possibilité d’utiliser les gâchettes et, comme je l’ai déjà dit, de pouvoir se concentrer uniquement sur son pilotage.»

Sur quelle machine souhaiteriez-vous voir la transmission DCT appliquée à l’avenir?

«Personnellement, j’aimerais bien voir la technologie DCT appliquée sur nos motos du Dakar. Sur ce type d’épreuve où la fatigue et la concentration jouent un rôle très important, le double embrayage pourrait représenter un vrai bénéfice. En tout-terrain, les gens sont souvent surpris de constater à quel point le DCT peut les aider : utiliser l’embrayage lorsque l’on est en position debout n’est pas si facile et cela demande beaucoup d’énergie et de concentration. Avec le DCT, le pilote évite souvent de se retrouver dans des situations délicates.»

Quelles sont les différences entre les différents modèles?

«Cela touche principalement les cartographies de sélection qui sont différentes pour chaque modèle. Par exemple, la cartographie du X-ADV est nettement plus sportive que celle de l’Integra puisque les rapports passent plus haut dans les tours tandis que les rétrogradages se font aussi à plus hauts régimes afin de profiter de davantage de frein moteur. Chaque modèle équipé du DCT profite d’une programmation différente qui correspond à la personnalité du modèle et qui permet d’optimiser ses caractéristiques.»

Quel serait votre message à ceux qui considèrent que le DCT n’est pas pour eux?

«Faites un essai s’il vous plaît… Cela peut prendre un peu de temps pour s’habituer vraiment mais la technologie DCT ouvre vraiment de nouveaux champs d’utilisation.»

 

Dai Arai : sa vie chez Honda ; sa vie de motard…

Quelles étaient vos ambitions lorsque vous étiez plus jeune?

«Je voulais être mécanicien de F1! La F1 était très populaire au Japon alors que j’étais étudiant, avec des pilotes comme Ayrton Senna et Satoru Nakajima. Je pensais que cela pourrait être sympa d’être l’un de ces mécaniciens que l’on voyait sur les grilles de départ…»

 Vos études?

«Ingénierie mécanique…Je me suis plutôt spécialisé dans l’étude des logiciels de contrôle et dans la communication homme-machine. D’ailleurs, pendant mes études, nous avons créé des robots télécommandés pour faire du «kendo» (escrime japonaise). Cela impliquait à la fois la conception du robot mais aussi des systèmes de contrôle. Cette expérience m'a été utile lorsque je suis entré chez Honda.»

 Quelle est votre principale source de motivation?

«Je veux comprendre le langage des machines, ce qu’elles nous disent… Lorsque j’étais jeune, j’aimais beaucoup démonter et remonter les choses. J’ai toujours effectué moi-même l’entretien de mes motos, réparé mes lecteurs de CD et remplacé les composants d’amplificateurs audio pour obtenir le meilleur son possible. Aujourd’hui, je ne peux rester à ne rien faire s’il y a un problème sur une machine. Lorsque je suis au guidon, s’il y a un bruit ou une sensation qui m’amène à croire que quelque chose ne va pas, je m’arrête et j’essaye de régler le problème. Je ne pourrais jamais faire comme si cela n’existait pas…»

 Quelle a été votre première moto?

«Une CRM250R. C’était la moto la plus puissante que je pouvais m’offrir à l’époque. Mais en fait, je voulais une VFR400R! J’ai eu mon permis sans le dire à mes parents. Lorsque je leur ai dit “je vais acheter une moto” ils m’ont dit qu’il serait bon de passer le permis d’abord… Et je leur ai répondu «Pas de problème, je l’ai déjà!»

 Quelles sont vos motos actuelles?

«Une XR250R modèle 1991, un Monkey 1982 et une Ducati Monster 750 2001.»

 Laquelle de vos anciennes motos aimeriez-vous avoir conservé et pourquoi?

«Ma VTR1000F. Ma femme et moi avons décidé qu’il fallait vendre une de nos motos et comme elle conduit la Monster, nous avons décidé de garder celle-là.»

 La moto de vos rêves?

«J’aimerais pouvoir rouler sur la RC211V 5 cylindres de MotoGP. J’ai eu la chance de pouvoir rouler sur une MotoGP lorsque je développais le système de shifter. Et plus récemment, j’ai eu la possibilité de rouler sur une 750 NR de 1992*. Dans la mesure où je suis en charge des recherches sur les transmissions automatiques, j’aimerais aussi pouvoir essayer la CB750 EARA Hondamatic et le scooter Juno avec sa fameuse transmission de type Badalini.»

* Moteur V4 à pistons ovales, 32 soupapes et 8 bielles…

 Quel est votre principal fait d’armes à moto?

«L’un des meilleurs souvenirs que j’ai fait était un voyage vers le nord du Japon avec ma copine. J’avais fabriqué un porte-bagage pour ma CRM250R et logé tout notre nécessaire de camping dessus. À cette époque, il était interdit d’emmener un passager sur l’autoroute donc nous y sommes allés par les petites routes pendant 4 ou 5 jours. À la fin, la suspension arrière faisait un bruit bizarre et a fini par casser! Et puis ma copine a eu son permis et est devenue ma femme. Ma plus grande réussite s’est faite à moto !»

Votre pratique au quotidien?

«Je me déplace avec la Monster et j’utilise les deux Honda pour faire les courses.»

 Quelle est votre spécialité: moteur, partie-cycle, style?

«Les transmissions.»

 Sur quels projets avez-vous travaillé chez Honda?

«La plupart des motos DCT depuis la VFR1200F. J’ai aussi travaillé sur le shifter de la Fireblade. Et sur quelques Quads et ATV."

 Si vous aviez la possibilité de concevoir une machine, sans contraintes de coût ou de réglementation, ce serait quoi?

«Une sorte de CRM250R modernisée. Au fil des ans, j’ai appris à apprécier les petites cylindrées et j’aimerais avoir quelque chose qui ressemble à ma XR actuelle mais avec plus de puissance.»

 Quelle est la personne qui a eu le plus d’influence sur votre carrière et pourquoi?

«Soichiro Honda. J’ai été particulièrement influencé par le livre qu’il a écrit sur sa vision de la vie. Il semble qu’il avait une personnalité capable d’illuminer une pièce et de rassembler les gens autour de lui. J’ai essayé d’être aussi enjoué que possible dans mon travail.»

 Quel est votre sport favori?

«L’athlétisme. Le 400 m était ma discipline de prédilection.»

 Vos pays favoris?

«Japon et Italie.»

 Votre livre favori?

«Les ouvrages sur l’histoire du Japon, période samurai.»

 Votre film favori?

«Cinema Paradiso.»

 Votre plat favori?

«Gyoza (une boulette japonaise).»

 Mac or PC? 

«PC.»

 Bière, sake, vin? 

«Sake japonais, bière allemande.»

 MotoGP, Superbike…?

«MotoGP.»

 Votre pilote favori? 

«Tadayuki Okada. C’est un pionnier pour les pilotes japonais d’aujourd’hui.»

 Le pétrole disparaît, vous avez les 10 derniers litres du monde. Vous en faites quoi?

«Je les donne à quelqu’un d’autre et je travaille à un monde futur sans pétrole!»