L’une des figures marquantes du surréalisme belge n’est autre que René Magritte. Nous troquons ce mois-ci le casque pour le chapeau melon, la pipe ou la pomme… Pour mieux comprendre comment ce jeune Hennuyer est devenu un artiste mondialement célèbre, nous plongeons sur les traces de son enfance. Rendez-vous à Lessines pour cette non-BBB…
Tant qu’à évoquer le surréalisme, allons-y de notre touche personnelle: on vous propose dès lors une description inversée de cet itinéraire. Nous terminons cette BBB sur la sympathique terrasse du café Le Club, à Châtelet. Lors de cette reconnaissance, le soleil dardait quelques rayons bienfaisants. Derrière notre bistrot, émerge la masse imposante de l’église de Châtelet, où se déroulèrent les funérailles de la maman de Magritte. Femme délaissée et brimée par son mari, père de René, elle ne supporte plus les longues absences de son homme et ses nombreuses aventures féminines. Elle commet l’irréparable en se jetant dans la Sambre en mars 1912.
Premiers coups de pinceaux
Magritte est âgé de 13 ans. Il y a quelques instants, nous étions devant le 95 de la rue des Gravelles. À cet endroit, notre peintre a vécu une grande partie de son enfance, entre 1904 et 1917. C’est ici que ses premiers coups de pinceau seront tracés. Si l’entrée dans Châtelet n’a rien d’extraordinaire, la fin de cette balade arpente un axe plaisant à rouler. La fatigue de la journée se fait légèrement sentir et la N922 entre Fosses-la-Ville et Châtelet nous permet de profiter de quelques larges virages en surfant sur les ondulations d’un paysage verdoyant. L’arrivée sur la cité des Chinels est tout aussi agréable. Au loin, on découvre encore un champ de majestueuses éoliennes. Nous sommes en plein contournement par le nord puis l’est de Charleroi. Loin des lieux communs d’une région sinistrée, la nature est riante. Les routes appellent à la promenade et à la flânerie. Comme celles que l’on vient de parcourir entre Jemeppe-sur-Sambre et Fosses, tiens! Quelques grandes courbes avalées avec entrain nous font découvrir Ham-sur-Sambre. Juste avant, nous traversions le bucolique village d’Onoz.
Nous connaissons tous Onoz pour le viaduc vertement avalé sur la E42, ou plus lentement durant la longue période de travaux qu’a subie l’autoroute. Sous cet ouvrage d’art se trouve un village de toute beauté avec son ancien moulin et sa petite église. Vu du dessous, le viaduc n’est pas très impressionnant. La vallée est encaissée et les arbres ont pris la liberté de masquer l’ouvrage de béton. Onoz est connu pour son château de Mielmont, dont les origines remontent au XIIe siècle, perché sur un éperon rocheux. Entre Mazy et Onoz, on se régale d’une route pittoresque à souhait, plaisir sur tranche assuré. On s’en délecte d’autant plus que précédemment, nous avons subi quelques kilomètres de liaison sur la N93. Une dizaine de bornes rectilignes qui jouent à saute-mouton sur les collines entre Marbais et Mazy. Les soupapes seront décrassées!
Adieu fromage
Continuons sur notre «machine à remonter le parcours». Puisque l’on est dans le surréalisme, il est bien un nom de village qui l’est: Rêves. Il y a deux ans, nous vous proposions de parcourir tous les «Villers» de Belgique. Nous nous étions arrêtés à la Ferme Lambert pour acheter de délicieux fromages. Les parents ont aujourd’hui cessé l’activité. Le fils a repris la ferme mais a dû abandonner la fabrication de ces crémeux délices. Quel dommage! Quand on dégotte une bonne adresse, mieux vaut en profiter, on ne sait ce que l’avenir peut réserver. Liberchies, nous a laissé un air de guitare manouche dans les oreilles. C’est ici que Django Reinhardt est né le 23 janvier 1910. À quelques coups de gaz à peine, Pont-à-Celles nous attend. Depuis le XVIIIe siècle, on y trouve des Magritte. Meuniers et agriculteurs de père en fils, ils ont marqué la terre de leur empreinte. Originaire d’une famille besogneuse, le grand-père de René Magritte veut quitter ce carcan. Il devient tailleur. Le père de René continue sur cette voie. La réussite sociale passe avant tout. Ses enfants seront adulés mais il sera un père totalement absent. La représentation du personnage masculin coiffé d’un chapeau melon, utilisé abondamment par René Magritte dans ses toiles, est l’interprétation de cette absence. L’homme est généralement de dos, anonyme, lointain, et habillé dans un style «petit bourgeois» qu’exècre le jeune René. À Pont-à-Celles, nulle trace visible de la famille, nous marquons la pause devant l’église pour mieux nous imprégner de l’ambiance de la petite ville. Il semble y faire bon vivre malgré les difficultés économiques qui tenaillent l’entité.
Samme ne me laisse pas indifférent
Le Hainaut recèle bien des trésors. Nous venons de parcourir une trentaine de kilomètres de pur bonheur, entre Henripont et Pont-à-Celles. Il y a d’abord eu la descente vers Ronquières, le passage devant le majestueux plan incliné, dominé par sa célèbre tour. Ensuite, il y a un autre endroit magique à parcourir: les bords de la Samme. Le cours d’eau ne connait plus de circulation commerciale et rares sont les bateaux de tourisme qui s’y égarent. La route s’approche et s’écarte au rythme des vallons et des petites chaussées abruptes. Ici, une écluse étroite laisse filtrer l’eau vers l’aval dans un léger bruissement de cascade. Là, c’est un hameau qui semble perdu au détour d’un méandre. Le seul bémol est une fois de plus lié à l’état du revêtement. Les pilotes de sportives ne seront pas à la fête, prudence. Un motard prévenu…
Feluy, connu pour sa pétrochimie, laisse voir un autre visage, empreint de larges paysages où il fait bon perdre son regard. Précédemment, nous étions à Soignies. Outre une pause gourmande revigorante aux pieds de la collégiale, nous avons surtout découvert l’ancien cimetière, un lieu perdu en plein centre-ville, comme si le temps s’était arrêté sur les antiques pierres tombales qui habitent le lieu. Pourquoi cet endroit? René Magritte dont l’enfance fut marquée par la perte de sa mère, par l’absence de son père et par de nombreux déménagements, venait passer régulièrement des vacances à Soignies. Ce vieux cimetière était l’un de ses terrains de jeux favoris: il s’y amusait à se faire plus ou moins peur en rodant autour des caveaux. Un jour, Magritte rencontre un peintre installé là, avec son chevalet. On raconte que ce fut la révélation pour le jeune René. L’alchimie de la vision d’un artiste sur un lieu et l’interprétation qu’il en fit sur la toile, ont généré chez René Magritte une insatiable envie de s’exprimer de la même manière. Soignies, révélatrice de talents?
Amitié et porphyre
Pour atteindre Soignies, en arrivant de Ghislenghien, ce sont les jolies campagnes des deux Cambrons qui nous ont chatouillé les yeux. Après avoir évité le centre animalier de Pairi Daiza, trop fréquenté à notre goût (mais qui mérite vraiment d’être honoré d’une visite avec les enfants, NDLR), on se laisse bercer par l’alternance des vastes champs de monoculture et des quelques prairies qui attendent le bétail. Avant cela, nous découvrons à Ollignies la maison où Louis Scutenaire, grand ami de René Magritte, est né. Le poète surréaliste est le seul qui ait réussi à faire revenir Magritte sur les terres de son enfance. Leur amitié a donné la force à Magritte de revenir en Hainaut et d’assumer cette enfance qu’il souhaitait oublier. Ollignies, terre d’amitié!
C’est de cet environnement de l’enfance que s’inspire Magritte pour faire flotter des blocs de porphyre dans les cieux. Toute la région autour de Lessines est posée sur des gisements de ce minéral. De nos jours, la semaine est toujours rythmée par des explosions à heures fixes dans les carrières avoisinantes. Avant Ollignies, on ne pouvait donc que faire un détour de quelques centaines de mètres pour découvrir ces lieux d’exploitation intensive du porphyre. Carrière à ciel ouvert d’un kilomètre de long et de près de 160m de profondeur, la taille du lieu transforme les gigantesques camions-bennes en jouets Matchbox et les hommes en Playmobil. Très impressionnant! Par temps sec, la poussière envahit les lieux, laissant la place à une bouillasse grisâtre sur la route dès qu’il pleut! De quoi nettoyer les motos au retour! Lessines est notre point de départ. La ville a vu naître l’artiste le 21 novembre 1898. Nous marquons l’arrêt devant sa maison natale. Le départ de ce parcours se fait sur la Grand-Place. Lessines est à deux coups de gaz de la E429. Bonne route, bonne découverte et prudence, toujours!
Loin des lieux communs d’une région sinistrée, la nature est riante.
Entre Mazy et Onoz on se régale d’une route pittoresque à souhait: plaisir sur tranche assuré!
Une écluse étroite laisse filtrer l’eau vers l’aval dans un léger bruissement de cascade…
C’est de cet environnement de l’enfance que s’inspire Magritte pour faire flotter des blocs de porphyre dans les cieux.