Yamaha YZF-R1 – We R1… again !

Essais Motos Arnaud Brochier
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L’arrivée d’une nouvelle R1 constitue toujours un moment particulier. La filiation de la reine des supersportives avec la machine de MotoGP n’a jamais été aussi poussée. Mais sera-ce suffisant pour remettre la concurrence à sa place? Verdict.

En 1998, après des années de cross et d’enduro, je me rends au Salon pour acheter ma première moto de route. De motard relativement expérimenté, je repasse par la case départ avec un réapprentissage complet de circonstance! Je sillonne les couloirs et, même si mon choix s’est déjà porté sur un roadster de 600cc, je reste ébahi devant le stand Yamaha où trône une machine aussi séduisante que terrifiante de par les performances annoncées: 150ch pour 177kg! La moto est sublime dans sa robe bleue et argent et ses doubles phares en amande lui donnent un caractère visuel inédit: de loin la plus belle sportive que j’ai vu! Je m’interroge sur les capacités indispensables pour piloter cet engin tout en ne me sentant pas très concerné! Seize années plus tard, dans le cadre du championnat «No Budget Cup» 2014, mon coéquipier et moi-même feront monter une Yamaha R1 millésime 2004 sur la plus haute marche du podium. Et en cette fin février 2015, j’écris ces premières lignes dans un avion qui m’emmène au bout du monde pour participer aux premiers essais «presse» organisés sur le circuit de Eastern Creek, en Australie. Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais!

Issue du GP

Depuis 1998, «seulement» cinq versions de la R1 se sont succédé. La 6e était donc attendue comme le messie par tous les fans de la marque qui n’avaient pas vu d’évolution majeure depuis 2009. Certes, un titre de championne du monde en WSBK aux mains de Ben Spies en 2009 et un titre de championne du monde d’endurance en 2014 avec le GMT94 n’avaient pas à faire rougir le modèle en question. Mais face à la concurrence et au rapport poids/puissance désormais fortement accentué, il convenait de répliquer afin de rester dans la course aux résultats… et aux ventes. La nouvelle R1 2015 a été présentée en grande pompe au Salon Eicma de Milan, en novembre dernier, par Valentino Rossi et Jorge Lorenzo. Le message était clair: la nouvelle R1 est directement dérivée de la M1 de MotoGP. Une moto repensée de A à Z avec un 4 cylindres en ligne de 1.000cc très compact qui développe plus de 200ch pour 179kg (à sec), un centrage de masses optimisé et une électronique de pointe… On y est!

Lors de la présentation du modèle, la veille de notre essai, les nombreux membres du staff en charge du développement se succèdent. Ils sont là pour nous expliquer en quoi le concept initial a été inversé. Avec cette nouvelle R1, le but de Yamaha n’a pas été de créer une moto sportive de route qui pourrait prendre part à d’éventuelles compétitions. Non, c’est une véritable moto de course qui a été développée, et sur celle-ci sont venus se greffer des éléments d’homologation de circonstance! Le ton est donné! La R1 est une nouvelle prouesse technologique. Pour nous en persuader: 1h30 d’interview et de visuels vont nous expliquer à quel point il fut compliqué de créer une moto avec un gabarit de R6 pouvant supporter un moteur de 200ch, une boite à air de 10,5l et un échappement très volumineux pour respecter les normes de pollution imposées. Une sorte de casse-tête d’ingénierie où le poids et la rigidité de chaque pièce doivent être remis en cause avec un objectif clair: se rapprocher au plus près d’une M1 de GP avec le cahier des charges d’une moto de grande production.

Chasse au poids

Le bloc moteur a bénéficié de toutes les attentions pour lui faire subir une cure d’amaigrissement drastique, alors que son homologue 2009 était le plus lourd de la catégorie. Par rapport à la concurrence, il fallait gagner pas moins de 20ch à 25ch tout en préservant le calage «crossplane» caractéristique à la Yamaha (allumage à intervalles irréguliers 270°/180°/90°/180°) qui en fait un de ses gros points forts. Toutes les pièces en mouvement ont dû être allégées pour grignoter 20% d’inertie, le taux de compression de la culasse a été revu à la hausse, les pistons allégés sont désormais en aluminium forgé, l’entrainement des soupapes se fait par culbuteurs et, pour la première fois sur une moto de série, on retrouve des bielles «à tête fracturée» en titane (40% plus léger que l’acier) afin de participer à la diminution de l’inertie, tout en favorisant les hauts régimes et la puissance maximale!

Dans la chasse au poids, c’est une profusion d’aluminium, de titane et de magnésium que l’on retrouve à tous les étages. Si un système d’échappement complet titane n’est plus une rareté, les jantes et le châssis arrière en magnésium le sont sur une moto de série! Carters moteur et couvre-culasse en magnésium, cadre Deltabox aluminium allégé et rigidifié via un système d’éléments moulés par gravité, réservoir d’essence en aluminium (un bijou d’orfèvrerie pesant 1,6kg de moins que son prédécesseur)… le résultat est là: un empattement hypercompact de 1.405mm pour un poids tous pleins faits de 199kg. Au niveau des suspensions, KYB fournit la fourche et un amortisseur de très belle facture dont les éléments sont, bien évidemment, réglables en précontrainte, compression et détente. Si l’amortisseur a un aspect très traditionnel, la fourche se présente avec les réglages de précontrainte, de compression et de détente sur les capuchons supérieurs. Le côté pratique non négligeable s’en voit rehaussé d’un look très racing.

Air futuriste

En termes de freinage, Yamaha a développé de nouveaux étriers monoblocs à 4 pistons pour pincer les 2 disques avant de 320mm, alors qu’un étrier à simple piston pince un disque de 220mm à l’arrière. Mais parce que cela aurait été trop simple, Yamaha propose un système d’ABS racing doublé d’un freinage intégral qui actionne de manière intelligente le frein arrière alors que vous avez uniquement actionné le levier de frein avant! Une répartition électronique (via l’IMU dont nous reparlerons) des pressions de freinages est effectuée en temps réel sur l’avant et l’arrière afin de stabiliser au maximum la machine en phase de freinage. Attention, ce système n’est pas actif si vous freinez seulement de l’arrière! Une moto «de route» nécessitant un éclairage de circonstance, Yamaha a préféré approfondir son concept de moto de course homologuée en intégrant des phares et feux à LED de manière à ce qu’ils soient quasiment invisibles. Au premier regard de face, on voit une moto de course avec une plaque à numéro et on y recherche les phares… en réalité cachés sous le carénage. Déconcertant! Malgré tout, la puissance de l’éclairage est tout à fait satisfaisante et, de nuit, la R1 adopte des airs très futuristes grâce au positionnement peu commun des ces feux à LED.

Première en série

Si tout ce qui précède parait relativement commun pour une superbike moderne, la suite risque de vous faire baver d’envie ou de provoquer quelques migraines. Avec sa gestion électronique tout droit sortie du service course MotoGP, Yamaha vient de filer un gros coup de vieux à la concurrence! On connaissait le traction control (TC), l’antiweehling (LIF), le launch control (LCS: système d’assistance au départ), le quick-shifter system (QSS: passage des vitesses à la volée), les power mode (PWR: différents modes de puissances disponibles), le pit-road speed limit (PRSL: gestion de la vitesse dans la pitlane), etc. Yamaha a trouvé tout cela un peu basique et trop peu sophistiqué pour sa nouvelle reine des pistes! Il manquait un élément de gestion globale pour autoparamétrer tous ces systèmes en temps réel via un boitier inertiel à 6 axes (IMU) composé de 3 capteurs gyroscopiques qui mesurent le tangage et le roulis et de 3 capteurs à «G» qui informent sur les mouvements avant/arrière, gauche/droite et haut/bas. Chaque seconde, 125 analyses de ces données permettent à l’IMU de définir l’angle d’inclinaison, le niveau de tangage et l’éventuelle vitesse de glisse! En bref, Yamaha vient de nous sortir le système de gestion électronique le plus abouti du marché mais vient aussi d’inaugurer le premier «Slide Control System» sur une machine de série (SCS: Système de contrôle de la glisse)!

Les capteurs inertiels permettent en effet à présent de détecter les mouvements latéraux de la machine qui correspondent à des glisses. Un fantastique complément de sécurité qui s’accouple au traction control qui, lui, détecte le patinage de la roue arrière quand celle-ci tourne plus vite que la roue avant. Quand le SCS détecte la moindre dérive latérale de l’arrière, il limite la puissance pour vous éviter le high-side! Le SCS est un donc un complément de sécurité bienvenu dans l’exploitation de motos de plus de 200ch alors que les châssis et les pneus permettent des angles de plus en plus fous! Pas besoin de vous dire que tous ces systèmes peuvent être diminués, augmentés ou arrêtés et que 3 programmes complets sont préprogrammés alors que 3 programmes sont à votre disposition pour paramétrer, selon votre bon vouloir, les degrés de réaction de chacune de ces aides au pilotage. Le somptueux tableau de bord TFT digital propose plusieurs écrans et il faut avouer que Yamaha a réussi un tour de force supplémentaire en rendant toute cette électronique assez conviviale et accessible via les commodos gauches et droits.

Simplicité surpenante

À présent, nous sommes sur le circuit et il est l’heure d’enfiler les combinaisons. Une quinzaine de R1 sont alignées avec couvertures chauffantes et c’est une nuée de techniciens qui se dirige vers nous pour nous aider à appréhender les nouvelles bombes d’Iwata! Les moteurs grondent et le feu passe au vert. Pendant deux tours, je découvre le circuit et la moto derrière un marshal qui tempère pour ces tours de roue inauguraux. Ma première constatation vient de la poignée d’accélérateur (ride-by-wire) qui ne communique aucune résistance alors que l’arrivée de la puissance se révèle très fluide. Je me concentre sur les trajectoires indiquées par notre instructeur et la moto me semble très douce dans son ensemble. La position est naturelle et pas une seule des réactions ne me choque ou ne me dérange. On arrive dans la partie où les petits virages serrés se succèdent et l’engin déconcerte par sa maniabilité. Après deux tours, le rythme augmente et on peut rapidement s’étonner de la santé du moteur qui se comporte comme un V4 en étant un poil moins souple qu’un 4 cylindres classique dans les très bas régimes. Mais l'arrivée linéaire de la puissance dès les mi-régimes est vraiment impressionnante!

Les sorties de virages sont canonnesques et je trouve même l’arrivée de la puissance un peu brutale dans certaines sorties de virages. Cet avis sera partagé par mes collègues et c’est sur un mode de puissance légèrement assoupli que nous repartons pour un deuxième run qui va encore changer le visage de cette moto. La nouvelle R1 nécessite, en effet, de piloter de manière très coulée en exploitant les mi-régimes plus que les hauts régimes pour déstabiliser au minimum le châssis, véritable scalpel dans les entrées de virage et au point de corde. Lors du 3e run, j’essaie de travailler mon pilotage et les trajectoires. Je passe 80% du circuit sur les mi-régimes et seuls quelques bouts droits me motivent à aller titiller la zone rouge. Les entrées en courbe sont jouissives et je prends des angles inédits sur une moto de test. De manière inévitable, sur une nouvelle moto et un circuit inconnu, je fais quelques erreurs de pilotage. L’occasion indéale pour se rendre compte que l’électronique veille au grain, avec une subtilité incroyable.

ADN M1

Très vite, on se prend pour Lorenzo avec un style coulé qui engendre très peu de mouvements de châssis tout en permettant des vitesses de passage en courbe et des angles dantesques! À la fin de mon 3e run, je me dis qu’ils ont vraiment réussi à mettre l’ADN de la M1 dans la R1! Je suis bluffé et j’apprécie particulièrement le style de pilotage induit par la moto. Là où on sort d’une chicane comme un boulet en 2e vitesse sur la R1, un 4 cylindres traditionnel devrait passer par la première pour s’extirper avec une telle force. La maniabilité du châssis et la disponibilité du moteur font de la R1 une machine hyperefficace et jouissive à piloter. S’en suivront encore 2 runs sur la R1 «M» équipée de suspensions Öhlins pilotées en temps réel grâce aux infos de l’IMU, de nombreuses pièces en carbone, d’une acquisition de données digne de la M1 (GPS) et de pneus slicks Brisgestone V02 en 200 à l’arrière.

En vérité, à la fin de la première session avec la R1M, nous avons tous regretté le déficit de maniabilité induit par le pneu en 200 alors que la R1 normale était montée en 190 (Bridgestone RS10-R). Néanmoins, lors des derniers tours à son guidon et suite à 2 ou 3 petits clics (électroniques), nous avons tous roulé plus vite avec la version M dont les suspensions électroniques adaptatives modifient le setting d’amortissement plus de 40 fois par tour. Une fois le mode de pilotage «slick» et son regain de grip assimilé, la moto devient plus efficace mais aussi plus physique puisque le grip augmente au même titre que la vitesse et les efforts pour rouler à un rythme plus élevé! Avec une monte de pneus différente, difficile toutefois de réellement apprécier les avantages des suspensions Öhlins. Mais l’efficacité est bel et bien au rendez-vous et, avantage du système pour les pilotes très expérimentés, la gestion adaptative en temps réel peut être désactivée afin d’utiliser les suspensions de manière traditionnelle.

Conclusion

Si la plupart d’entre nous s’attendaient à ce que Yamaha se mette à niveau par rapport à la concurrence, c’était sans compter sur le dynamisme d’une marque qui veut reprendre le leadership dans la catégorie. La R1 n’a pas été mise à niveau, la R1 innove et, désormais, les prochaines superbike devront être de plus en plus proches des modèles utilisés en MotoGP. Sur ce point, Yamaha fait figure de précurseur et c’est maintenant à la concurrence de se mettre à niveau!

Un essai signé Arnaud Brochier et publié dans le Moto 80 n°773 d'avril 2015.