Yamaha TDM900 – 100.000 km, l’heure du bilan

Essais Motos Vincent Marique
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Aujourd’hui, (bien) vendre une moto d’occasion qui affiche plus de 50.000 kilomètres au compteur est bien difficile. Le client potentiel se méfie et pense que la mécanique d’une bécane totalisant autant de bornes risque de mourir de sa belle mort dans un proche avenir. Une erreur?

Les quatre cylindres japonais se sont pourtant taillés une réputation de grande fiabilité et, dans la foulée, des européennes en général et des teutonnes en particulier, ont prouvé qu’elles pouvaient parcourir bien plus de 100.000 kilomètres sans rencontrer de problèmes majeurs. Pour les bicylindres et plus encore pour les monocylindres, jusqu’il y a peu, la fiabilité à longue échéance était moins évidente. Ainsi, un gros mono des années 70 parcourait rarement plus de 40.000km ou 50.000km avant de nécessiter une grosse révision. Et chez Yamaha, beaucoup de TDM850 ont «descendu» leur moteur bien avant 100.000 km. Le désastre est souvent arrivé par manque d’huile: ce bicylindre en consommait pas mal et, lorsque sur l’autoroute le témoin de niveau d’huile s’allumait, il était trop tard… Le mal était fait!

Pourtant, en 2003, lorsque j’ai dû choisir une moto pour mon usage personnel, pour diverses raisons, mon choix s’est porté sur la TDM 900. Il s’agit d’une machine dont l’ancêtre n’est autre que l’ancienne Super Ténéré de 750cc apparue en 1989. Il en résulte que si la TDM a été développée comme une routière, elle garde dans ses gènes un petit côté trail… Au moment de l’achat, en été 2003, cette moto atypique fut équipée d’une béquille centrale, d’une paire de valises Yamaha (avec les sacs intérieurs) et d’un top-case Yamaha. Avantage: la clé de contact ouvre aussi les bagages. La bagagerie n’est pas ce qu’il y a de mieux sur cette moto. Les valises d’origine, qui sont d’ailleurs identiques à celles de la FJR1300, sont certes très rigides et parfaitement étanches. Mais elles sont lourdes. De plus, elles débordent largement de part et d’autre de la machine. Quant au top-case, il est placé particulièrement haut sur la TDM, ce qui est disgracieux et vite gênant dès qu’on y place quelques kilos.

Comme un V-twin

Le moteur de ma TDM900 m’est apparu comme particulièrement rugueux, encore moins souple que les diverses TDM900 qu’il m’a été permis de conduire avant et après l’acquisition. Ce moteur, dont les deux bielles sont calées à 270° («pour faire comme un V-twin»), est particulièrement rébarbatif dans les bas régimes. Et si la ligne rouge débute à 8.000 tours au compte-tours, sous les 3.000 tours, il cogne désagréablement si on tourne un peu trop la poignée des gaz. Par contre, passé 3.500 tours, le bicylindre se montre agréable avec un tempérament joueur et des montées en régimes toujours très vives. Ce moteur est excellemment servi par une boîte de vitesses à six rapports qui ne mérite que des éloges. On est là à l’inverse de la cinq vitesses qui équipait la TDM850 et qui faisait partie des défauts de la bécane! Le bicylindre de 900cc est très largement  supercarré (92mm x 67,5mm). Il dispose de cinq soupapes par cylindres et est alimenté par un système d’injection électronique. Il développe 86 chevaux à 7.500 t/min. Cette puissance n’est pas démentielle, mais la moto étant relativement légère, elle est loin de se montrer poussive.

Réglages difficiles

Dérivée à la base d’un gros Trail, la TDM a gardé un grand guidon, ce qui facilite la maîtrise. Elle a en outre hérité d’une excellente partie-cycle avec un cadre diamant à double poutres périmétriques en alu et des suspensions réglables de bonnes factures. Sur la fourche, on peut jouer sur la prétension des ressorts ainsi que sur l’amortissement en compression (4 positions). A l’arrière, le combiné permet de régler l’amortissement tant en compression qu’en détente. La prétension du ressort est également ajustable. Cette opération est malaisée. Par manque d’accessibilité, la clé ad hoc s’ancre difficilement sur la molette crantée située en haut de l’amortisseur. Monter ou descendre la suspension arrière la TDM n’est jamais une sinécure! On doit s’y reprendre à maintes fois en se meurtrissant les mains. C’est pourquoi, lorsque j’ai eu l’occasion de monter un amortisseur Wilbers sur ma Yam, j’ai sauté sur l’occasion. A vrai dire, je n’ai pas trouvé de grande différence entre les qualités de l’amortisseur d’origine (d’ailleurs excellent) et le Wilbers, si ce n’est que ce dernier est doté d’une molette pour la prétension du ressort. Il est ainsi devenu facile de rehausser et d’abaisser l’arrière en fonction de la charge. J’ai aussi essayé une selle «Top Sellerie» conçue pour la TDM. J’étais sceptique au départ. Mais elle apporta un plus au confort du conducteur en le maintenant en place sans l’empêcher de bouger. Ma passagère habituelle s’est trouvée beaucoup mieux aussi, avec cette selle. Elle tenait naturellement mieux en place lors des accélérations et des freinages. C’est pourquoi, aujourd’hui, cette selle est toujours en service!

Mais revenons au comportement routier de la TDM: il ne souffre aucune critique. La moto est très maniable et agile sur un parcours accidenté, mais elle ne craint pas non plus les grandes courbes rapides où, malgré le grand guidon, elle fait preuve d’une belle rigidité d’ensemble. Par ailleurs, la TDM profite d’un freinage de très haut niveau avec deux disques avant pincés par des étriers quatre pistons provenant de la première génération de la R1. Les plaquettes sont tendres et donnent les meilleurs résultats en usage courant. Quelques tours sur le circuit de Francorchamps ont néanmoins démontré que le système avait ses limites et que sur les gros freinages entamés aux alentours des 200 km/h au compteur, une baisse d’efficacité accompagnait les montées en température. Sans doute des plaquettes plus dures résoudraient-elles ce problème mais reconnaissons que la TDM n’a pas été conçue pour évoluer sur Francorchamps! Des plaquettes moins tendres, j’ai eu l’occasion d’en essayer mais sur la route. Il s’agissait de plaquettes Carbone Lorraine montée à 22.640km en remplacement des origines. Elles résistaient mieux à l’échauffement mais d’une manière générale, elles étaient nettement moins agréables et moins efficaces à basse vitesse et à froid. C’est pourquoi avant qu’elles ne soient usées, je suis repassé aux plaquettes Yamaha.

Usure nulle

Tout cela pour vous dire que la TDM900 dispose d’un excellent comportement routier. Avec ses roues de respectivement 18 et 17 pouces à l’avant et à l’arrière ainsi qu’avec des suspensions très routières, elle a forcément perdu de son tempérament de trail et elle n’est pas faite pour sortir de l’asphalte. Cela lui est pourtant arrivé plus d’une fois, et même avec passagère et bagages. Dans ces conditions, on aimerait disposer d’une première plus courte et il conviendrait de démonter la béquille centrale (optionnelle) qui réduit exagérément la garde au sol. Sur le plan de la consommation, la TDM est assez raisonnable mais elle est capable du pire comme du meilleur. Ainsi, sur autoroutes, en duo avec bagages, avec un fort vent debout et une vitesse de croisière d’environ 160 km/h au compteur (environ 154 km/h réels), elle avale plus de 8 litres aux 100 km. Par contre, toujours avec passagère et bagages, à allure touristique sur les petites routes de Grèce ou d’Angleterre, il m’est arrivé de descendre à 4,6 litres aux 100. D’une manière générale, en roulant bon train, la consommation oscille entre 5,2 et 5,5 litres aux 100 km ce qui, avec le réservoir de 20 litres, laisse une autonomie de 360 km avant de tomber en panne sèche.

A 110.000 km, on aurait pu décider d’ouvrir le moteur pour en mesurer les tolérances. C’eut été peine perdue car il y a des éléments qui ne trompent pas. Menée tambour battant, entre deux vidanges, c’est-à-dire en l’espace de 10.000 kilomètres, elle ne consomme pas une goutte d’huile. Et sur le plan de la souplesse, elle fait mieux qu’à ses débuts. J’ai un jour fait remarquer à Pascal Schmitz que ce bicylindre était comme le bon vin, qui s’améliore sans cesse avec le temps… «Au risque de te décevoir, un jour l’évolution deviendra inverse», a répliqué Pascal! Ce jour n’est pas encore arrivé. Sur le plan de la fiabilité, si ce n’est un boîtier électronique récalcitrant, la TDM s’est montrée excellente, même s’il faut dénoncer une faiblesse du côté du tendeur de chaîne de distribution. Consécutivement à des bruits de chaîne de distribution inquiétants, ce tendeur a dû être remplacé trois fois: à 13.160km sous garantie, puis encore à 51.701km et à 88.487 km. Cette dernière fois, on en profita pour remplacer en même temps la chaîne de distribution. En ce qui concerne l’usure des plaquettes, de la chaîne et des pignons, j’ai pu constater que les pièces de remplacement proposées par Yamaha font partie des meilleures options que l’on puisse choisir. Pour les pneus, il faut remarquer que les Metzeler MEZ4, les Dunlop D220, le Metzeler Roadtech Z6 et les Pirelli Diablo Strada ont tous donné entière satisfaction avec une usure normale: 7.000km à 9.000km pour un pneu arrière. Lorsque sont apparus les Michelin PiloteRoad 2, avec une adhérence au moins équivalente, la longévité du pneu est passée à environ 13.000km! Sur le pneu avant, si la longévité est aussi accrue, le gain se révèle toutefois moins sensible. En dehors d’interventions d’entretien normales, en huit ans et 110.000km, trois ampoules ont dû être remplacées: deux fois l’ampoule de phare code et une fois celle du feu de position avant. Après six ans, la batterie d’origine a été remplacée. Le levier d’embrayage a été changé par un nouveau car, à 46.000km, il avait pris trop de jeu sur son axe. A 99.461km, le disque de frein arrière, copieusement usé et arrivé hors cote a été remplacé. A 106.301km, ce sont les roulements à billes de la colonne de direction qui, étant «marqués», ont été remplacés. Après 100.000 km de bons services, l’amortisseur Wilbers est en pleine forme!

La panne

Les motos sont devenues très fiables et il devient rare que l’on reste en rade au bord de la route. Aujourd’hui, l’immobilisation d’une moto est le plus souvent causée par une crevaison. Avec les pneus Tubless, pour peu que l’on dispose d’un kit de réparation et de quoi gonfler, avec un peu de pratique, c’est l’affaire de quelques minutes avant de pouvoir reprendre la route. Par contre, cela ne m’a pas empêché par trois fois de me trouver bloqué en bord de route avec ma TDM! La première fois, à 80.000km, je circulais en duo sur une petite route en France profonde. La pluie était drue. Subitement, le voyant orange s’est allumé au tableau de bord en même temps que le display affichait « Error1 » et que le moteur cessait tout fonctionnement. Dans le froid, sous la pluie et en bord de route en rase campagne, je n’étais pas trop enclin à faire de la mécanique. Après avoir rapidement diagnostiqué que la pompe à essence ne fonctionnait plus et qu’il n’y avait pas d’allumage, j’ai appelé Europ Assistance, pensant à une panne électronique irrémédiable. Un camion-plateau est venu nous chercher. Nous nous sommes ainsi trouvés un dimanche 13 juillet (le lendemain était donc jour férié en France) dans un petit village où, en dehors d’une église et d’un petit concessionnaire automobile Peugeot, il n’y avait pas grand-chose. Mon «assistance» m’a fait savoir que si dans les trois jours je n’étais pas dépanné, nous serions rapatriés à leurs frais… En attendant, je n’avais qu’à me débrouiller. Il ne faut pas nécessairement être en Afrique pour connaître l’aventure!

Plutôt que de prendre un taxi pour trouver le gîte et le couvert à une cinquantaine de kilomètre de là, avec l’aide bénévole d’un villageois sympa et compétent, j’ai démonté le carénage pour soulever le réservoir et vérifier sans conviction toutes les connexions. Un peu plus tard, sans qu’on sache pourquoi, le moteur tournait comme une horloge et nous avons repris la route, non sans appréhension, surtout lorsqu’il pleuvait… J’ai appris par la suite que «Error 1» signifiait que le tableau de bord ne recevait pas d’information du boîtier électronique. Ce qui veut, à la fois, tout dire et ne rien dire… Quelques mois plus tard, sous une pluie battante, la TDM900 a de nouveau affiché «Error 1» et s’est arrêtée au milieu de nulle part. Arrivée chez Sud Moto en ayant retrouvé son bon fonctionnement, la TDM a été contrôlée de partout, y compris en roulant sous la pluie ou en étant copieusement aspergée au tuyau d’arrosage! «Je n’ai rien trouvé», a annoncé Pascal Schmitz. «Tant qu’elle n’est pas en panne, je peux difficilement déceler  une anomalie.» Quelques temps plus tard, la TDM s’est à nouveau arrêtée. Définitivement, cette fois. C’était le boîtier électronique transistorisé qui, avec une fente non visible à l’œil nu, n’appréciait pas l’humidité. A cause de ce boîtier, je me suis trouvé bloqué trois fois au bord de la route et, en outre, si la pièce n’est pas volumineuse, elle vaut son pesant d’or : quelque 1.400 euros TVAC! Voilà un incident stupide et rare qui a entaché la fiabilité de la TDM900 au cours de ces huit années de bons et loyaux services.

Fin de carrière

Dans la gamme Yamaha, la TDM900 est probablement en fin de carrière. La TDM850 est apparue en 1991. La 900 va fêter son dixième anniversaire.  Il serait logique qu’elle soit prochainement remplacée par une 1200cc qui reprendrait dans une partie-cycle routière le moteur de la nouvelle Super Ténéré. Depuis qu’elle existe, la TDM900 a subi quelques modifications mineures. En dehors de nouveaux coloris, elle a surtout reçu une clé de contact dotée d’un transpondeur et, depuis 2005, le système de freinage ABS est proposé en option. Quoi qu’il soit, la TDM900 est une valeur sûre. Certes son bicylindre manque de souplesse, mais cette moto est légère, maniable, confortable et performante.

Un sujet signé Pierre Capart et publié dans le Moto 80 n°735.