Yamaha MT-09 Tracer – Le plaisir sauvage

Essais Motos Laurent Cortvrindt
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Un peu comme les Gremlins, les Dark Side of Japan n’en finissent pas de se multiplier! Après la 09, la 07, la 125 – et quelques déclinaisons plus «rock n’ roll» –, voici que la famille MT accueille une nouvelle représentante: la 09 Tracer. Son objectif: partir à la découverte de nouveaux horizons…

Un simple coup d’œil aux chiffres du marché européen suffit pour constater que Yamaha a tapé dans le mille avec sa MT-09. 12.000 unités écoulées entre septembre 2013 et août 2014 (dont 15% de Street Rally et de Sport Tracker), une place de leader incontestée dans le segment des roadsters de moyenne cylindrée et, entre janvier et octobre 2014, la 3e place au niveau des ventes toutes motos confondues (derrière la BMW R 1200 GS… et la MT-07!). Sur base de ce concept mêlant émotion et accessibilité, il était donc temps pour Yamaha de développer de nouvelles aptitudes au tourisme dynamique, sans renier l’ADN MT. Conserver un poids modéré de la performance et de l’agilité était donc obligatoire. C’est en ce sens que le moteur CP3 de 847cc à calage à 120° est inchangé. Il délivre toujours 115ch à 10.000tr/min et 87,5Nm à 8.500tr/min mais ses 3 cartographies (D-Mode) ont néanmoins été repensées tout spécialement pour la Tracer. On note également l’arrivée d’un contrôle de traction entièrement commutable et, enfin, le cadre en aluminium coulé sous pression est, lui aussi, inchangé. La boucle arrière a, par contre, été allongée de 130mm et renforcée afin de soutenir le supplément de poids dû à la bagagerie. Restait à voir comment ajouter de la versatilité à l’ensemble. La fourche inversée de 41mm – réglable en précharge et en détente – dispose désormais d’un débattement de 137mm pendant que la suspension arrière Monocross peut, elle, compter sur un débattement de 130mm et se régler en précharge et en détente. Au final, la répartition des poids ne change pas par rapport à la MT09: 51% sur l’avant, 49% sur l’arrière, pour un poids en légère hausse (vu le carénage, les nouveaux équipements, la boucle arrière plus longue…) de 190kg à sec. Et pour s’adpater à cette nouvelle masse, les réglages en ressort et en hydraulique ont été légèrement durcis.

Premier contact

Quand on grimpe sur la MT-09 Tracer, la première constatation vient… de la selle. 860mm de haut, voilà qui est plutôt inhabituel! Un peu trop haut même, pour mon mètre quatre-vingts. Je la descends donc facilement, rapidement et sans outil en position basse à 845mm et je note qu’un kit de rabaissement à 815mm, soit la même hauteur que la MT-09, est également disponible. Deuxième remarque pour les fessiers: la selle du conducteur gagne 2,5cm en largeur, 3cm en longueur et 3cm également en épaisseur. On bénéficie donc d’un confort en hausse même si, après plus de 200km, la différence avec une selle de GT commencera à se marquer. En fait, rayon «popotin», c’est le passager qui va surtout être content: +6cm en longueur et une forme en courbe sur la partie arrière pour ne pas glisser lors des accélérations: voilà enfin une assise accueillante pour accumuler les kilomètres! En outre, la selle conducteur offre davantage d’espace en duo et les genoux s’en trouvent moins pliés. Le guidon change aussi. Il est désormais plus haut mais surtout encore plus large que sur la MT-09 puisqu’il pousse de 45mm. Il peut, en outre, s’ajuster de 10mm vers l’avant ou vers l’arrière. Au final sur la Tracer, on obtient une position de conduite encore un peu plus droite, bien en avant, avec les genoux bien calés autour d’un réservoir qui prend 4 litres au passage (18l.)

Les yeux peuvent ensuite tomber sur l’impressionnant tableau de bord multifonctions complètement revu. Grand et rectangulaire, il se divise en deux parties. À gauche, les km/h, les tr/min, l’horloge, la jauge d’essence, les indicateurs de mode de conduite et de conduite économique ainsi que le commutateur de contrôle de traction. À droite, en plus du témoin de rapport engagé, on peut choisir entre trois affichages: odomètre/conso moyenne/conso instantanée, température de l’air/température moteur/temps écoulé ou trip1/trip2/odomètre. Via le menu, vous aurez également accès aux infos concernant la maintenance, les unités, l’affichage, la résolution, etc., le tout étant, naturellement, paramétrable. Heureusement Yamaha a évité l’usine à gaz car l’accès à toutes ces informations se commande via la main gauche et deux boutons: un menu et une commande de sélection. Comme quoi, on peut toujours faire simple et lisible. Par contre, quand le soleil tape dans le dos, la grande taille de l’écran fait effet de miroir…

Encore au top

Le design «high-tech/race» de la MT-09 Tracer est réussi, et sa touche «baroudeuse musclée» n’a rien d’extravagant ni de tape-à-l’œil. Seules ces finitions imitation carbone sur les flancs nous paraissent discutables pour leur effet un peu tuning cheap. Sur la version Matt Grey, elles passent toutefois assez inaperçu. Elles sont par contre beaucoup plus visibles sur la Lava Red, à nos yeux la livrée la plus sexy. Soulignons également les petits changements de tons dans la version Race Blu mieux réussie que la précédente. Dans le bosselé, la partie-cycle fait merveille. Grâce à son débattement supérieur, l’amortissement avant est clairement plus souple que sur la MT-09. Les aspérités de la route sont mieux filtrées mais la remontée d’information n’en est nullement pénalisée et on peut toujours réalistement envisager une conduite incisive, voire assez sportive. Très agile, la Tracer a préservé le dynamisme de la 09 car dans le sinueux, avec une moto si légère et si compacte, au châssis rigoureux, les changements d’angle s’effectuent sans aucun mal. Le guidon haut et large permet quant à lui d’inscrire le train avant avec assurance en courbe. Par contre, une fois dans le tournant, une éventuelle correction demandera un peu plus d’effort. On gagne en maniabilité et en confort, on perd un tout petit peu en précision, surtout si on rentre dans un virage sur les freins.

Mais le plus réjouissant sur la Tracer, c’est surtout d’avoir pu retrouver toutes les sensations moteur que pouvait offrir la MT-09. Ce trois cylindres combine vraiment le meilleur des deux mondes: le couple à bas régimes des bicylindres et l’allonge rageuse des quatre pattes. Plein de vitalité bas dans les tours (il reprend sans sourciller à 2.000tr sur n’importe quel rapport), rageur jusqu’à la zone rouge avec une sonorité qui vous empêchera de passer inaperçu, il prouve que 115ch peuvent délivrer de très belles sensations quand un bloc efficace se voit combiné à une moto légère. Et en plus, 115ch, ça a le bon ton de vous éviter aussi le hold-up fiscal… Autre point important: Yamaha n’a pas menti, les mappings de la Tracer sont effectivement modifiés par rapport à la MT-09. La différence est désormais moins marquée entre le mode A (le plus vif) et le mode Standard. Mais tous deux sont beaucoup plus agréables à utiliser. Le mode A n’est plus aussi saccadé qu’avant et le contrôle électronique de l’ouverture des gaz (Y-CCT) a presque totalement supprimé ses à-coups autrefois quasi systématiques à l’accélération. Le mode B reste efficace en toutes circonstances mais il se révélera plus opportun en ville ou quand l’adhérence devient précaire. Le changement de mode s’effectue gaz coupés, en pressant simplement sur un bouton situé à côté de la poignée d’accélération. Par contre, comme sur la MT-09, une fois le moteur coupé, on repassera automatiquement en mode Standard au prochain démarrage. Dommage.

Slippery when wet

L’Espagne est très prisée des constructeurs pour y dévoiler leurs nouvelles productions. Beau temps, belles routes, comme on dit, c’est le pied pour rouler à moto. Sauf que cette fois, point de chance avec la météo. 4°C, du brouillard givrant et du vent toute la matinée et sur des routes rendues bien grasses et piégeuses, nous avons roulé en permanence sur des œufs. Difficile de juger avec précision la qualité des pneus sélectionnés pour la Tracer, à savoir les Dunlop D222, des pneus davantage orientés vers le tourisme. Les pertes d’adhérence vécues, tour à tour, par le groupe, sont sans doute en grande majorité dues aux conditions parfois précaires. Mais «pas que», car elles furent trop nombreuses pour que la confiance soit totale. Sur les portions ensoleillées de l’après-midi, le grip était excellent. Mais dès que le tempo ralentissait, les petites dérobades avaient tendance à rappliquer. À titre personnel, je n’aurai glissé qu’une fois. De l’arrière. Mais dans un virage anodin, sec et à faible allure. En attendant de pouvoir donner un jugement plus définitif, dans d’autres conditions et avec plus que 230km au compteur, les D222 ont sans doute besoin, plus que d’autres, de temps pour monter à bonne température et se montrer efficaces. Une efficacité, a contrario, rapidement en baisse dès que le tempo se ralentit.

La fin de l’après-midi pointe à présent le bout de son nez à l’horizon et signe par là-même la fin de notre sortie dans l’arrière-pays humide de Malaga. La «rinçade» du matin nous aura permis de remarquer qu’avec un garde-boue mini à l’arrière, la protection est très insuffisante. Toute la boucle arrière est repeinte et le tuyau d’arrosage sera indispensable. La bulle se règle sur 3 crans chacun distants de 15mm via deux molettes (comme pour le réglage des phares) à dévisser à l’arrêt. Je l’ai préférée en position basse, là où elle générait moins de turbulences. La protection sur le haut du corps est très correcte. Mais au niveau du casque, on prend quand même du vent. Par contre, quand il fait froid, les protège-mains de série font du bien! Nous voici à présent sur une petite portion de voie très rapide… et notre ouvreur semble pressé de rentrer. Bonne idée, cela nous permet de faire une toute dernière constatation. À vitesse légalement complètement non-avouable (entendez à fond de 5e), l’avant se déleste et la direction commence à bien tanguer. Autant être prévenu, ce n’est pas le moment de lâcher le guidon, au contraire, on serre bien les genoux, on verrouille les poignets, on coupe gentiment les gaz et on arrête de penser aux Autobahn allemandes… Dernier calcul de la journée: une conso moyenne mesurée à 5,6l/100km.

Conclusion

Ceux qui avaient apprécié la MT-09 aimeront forcément la MT-09 Tracer. Vu que le bloc CP3 est absolument identique, le plaisir qu’il procure est toujours au rendez-vous. En réalité, il se voit même amélioré grâce aux paramètres spécialement développés pour les différentes puissances de moteur et qui offrent aujourd’hui une réponse plus souple à l’accélération, surtout en mode A. Et donc déjà rien que pour lui, on craque. Et en face, ceux qui n’avaient pas été séduits par la MT-09 se laisseront peut-être tenter par ses nouveaux attributs: bulle, protège-mains, selle modifiée, position revue, réglages peaufinés… Une configuration Tracer qui permet à cette MT de se découvrir une polyvalence inédite. Pour envisager l’aventure au long cours, ce sera néanmoins encore un peu juste niveau confort et volume de chargement. Mais en se montrant plus confortable et plus protectrice que la 09, la Tracer autorise sans souci de belles escapades à son guidon. Des excursions qui vous permettront de faire le plein de sensations grâce au (probablement) meilleur moteur du marché dans sa cylindrée combiné à une moto au poids plume et à l’agilité remarquable. Et n’oublions pas son prix diablement compétitif de 10.490€, grâce notamment aux économies d’échelle via la réutilisation de la plateforme MT-09.

Un essai de Laurent Cortvrindt publié dans le Moto 80 n°770 de janvier 2015.

Photos A. Barbanti, J. Godin, F. Montero & H. Stern.