Comparatif Honda VFR800X Crossrunner – MV Agusta Turismo Veloce – Yamaha MT-09 Tracer

Essais Motos Vincent Marique
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Routières ou voyageuses?

Elles, ce sont les trois dernières routières «trailisantes» à caractère sportif. Un tempérament à peine voilé pour Honda, totalement assumé pour MV Agusta et hautement revendiqué pour Yamaha. Afin de vérifier ce qu'elles ont dans le ventre, nous les avons équipées de leurs valises pour mettre le cap vers Houffalize et ses vertes hauteurs.

Présentée fin 2014, la Yamaha MT-09 Tracer n'est, il faut bien l'avouer, qu'une déclinaison «baroudeuse» du roadster MT-09. Néanmoins, les adaptations reçues changent profondément son caractère, lui ouvrent de nouveaux horizons et la destinent (normalement) à un autre type de public. On pourrait en dire autant de la VFR800X Crossrunner, présentée à la même époque et proche cousine de la sportive VFR800F. Plus récente, la MV Agusta Turismo Veloce, quasi clone de la Stradale, a décidé de venir chasser sur le terrain de ces deux best-sellers nippons. Un pari perdu d'avance? C'est ce que nous allons voir… Cylindrée semblable, puissance similaire, 2 tricylindres face à un V4: il était grand temps de confronter ces routières sportives relevées à la sauce trail sur leur terrain de chasse: la longue balade poignée dans le coin.

Confort général

Sur la Crossrunner, le pilote prendra position aisément car la selle se règle sur deux hauteurs respectables: 815mm ou 835mm. Idéal pour poser les pieds bien au sol même si les repose-pieds viennent «pousser» contre les mollets. Les jambes forment un angle presque droit (distance selle-repose-pieds de 49cm), le dos est bien relevé et l'on empoigne fermement un guidon plutôt étroit (80cm de largeur maximale). La grande et confortable selle permet de changer aisément de position. Si vous mesurez vers le mètre quatre-vingts, mauvais point par contre pour la bulle qui, en plus d'être fixe, se révèle soit un peu trop haute, soit un peu trop basse, c'est selon, et renvoie le vent directement sur le casque, causant un supplément de turbulences. En maniement à basse vitesse, on sent également de suite que la Honda accuse quelques kilos de plus sur la balance. 242kg avec les pleins, c'est lourd, surtout de l'avant, et l'on redoublera d'attention lors des manœuvres délicates. Par conte, l'angle de braquage offre grande satisfaction.

Quand on passe sur la Yamaha, le changement d'ambiance se perçoit immédiatement. Déjà rien qu'à la position des bras sur ce guidon particulièrement large (95cm de largeur maximale) et un poil plus bas. Le buste se positionne davantage vers l'avant et les pieds sont plus reculés et plus bas. Résultat, les genoux et les jambes sont, eux aussi, plus inclinés (distance selle-repose-pieds de 51cm). La selle, que l'on peut placer à 810mm ou 830mm du sol, permettra, ici aussi, de poser les pieds bien à plat. Moins grande et plus dure que celle de Honda, elle n'autorisera toutefois pas la même latitude de mouvement et se rappellera plus rapidement à vos fessiers, même si l'on ne peut pas vraiment parler d'inconfort. Sur la Tracer, la bulle est réglable en hauteur sur 3,5cm via deux manettes à visser et dévisser. Mais impossible d'effectuer la manœuvre en roulant. Bien dommage… Même en position haute, on prend de toute façon un peu de vent sur le dessus du casque et, surtout, sur les épaules. À l'arrêt, on sent immédiatement que la Yamaha est le poids plume du groupe (210kg avec les pleins). La manier serait même une véritable formalité en toutes circonstances si l'angle de braquage, nettement plus réduit que sur la Crossrunner, ne venait, de temps en temps, compliquer l'affaire.

Pour prendre position sur la Turismo Veloce, c'est une autre affaire. D'abord parce que la selle, fixe, culmine à 850mm. Ensuite, parce que le buste vient se placer au-dessus du réservoir. Assez déstabilisant dans un premier temps, surtout avec un guidon plutôt étroit (83cm de large). Si la selle étonne par son design exemplaire et un moelleux de bonne facture, sa superficie réduite empêche malheureusement tout mouvement du bassin. Les fourmis gagneront donc vos fesses avant vos genoux qui, eux, bénéficient d'un peu plus de confort que sur les deux autres machines (distance selle-repose-pieds de 52cm). La protection au vent se révèle très correcte et la bulle se règle facilement sur 5cm, même en roulant, via une sorte de pince. Par contre, si vous optez pour la préinstallation GPS, la barre de maintien de l'appareil viendra se positionner… pile devant le système de réglage de la bulle, rendant l'opération bien plus hasardeuse! La MV est à peine 1kg plus lourde que la Yamaha et brille donc aussi par sa légèreté mais sa maniabilité reste un peu plus en retrait, la faute à un angle de braquage encore plus réduit.

Force tranquille

Comme déjà dit, nous avons donc un V4 à 90° de 782cc développant 106ch face à deux trois cylindres en ligne de, respectivement, 798cc et 110ch et 847cc et 115ch. Cela se joue dans un mouchoir mais sur le papier, la Yam offre donc plus de coffre et de puissance. Et en pratique, cette théorie s'est vue respectée. En reprises en 4e, 5e et 6e à 90km/h, avec les MV et Yamaha en cartographie sport, la Tracer est toujours parvenue à décoller légèrement la Turismo Veloce tandis que la Crossrunner ne parvenait jamais à s'accrocher. Le moteur de la Honda, c'est en réalité un peu Docteur Jekyll et Mister Hyde. Sous 3.000 tours, le V4 semble sagement roupiller. Jusqu'à 6.500 et plus généralement dans les mi-régimes, il induit une conduite apaisée, très souple. C'est la force tranquille. Et au-delà, il se met à réellement vivre. Si l'on accélère d'ailleurs graduellement, on sent parfois un «enclenchement» du V-Tec qui passe de 8 à 16 soupapes (sensation par contre imperceptible en cas de plus forte accélération). Ensuite, jusqu'à sa zone rouge, la Crossrunner montre ses aptitudes sportives au point de reprendre le commandement face aux 3 cylindres même si des vibrations apparaissent à mesure que l'on hausse le rythme. Particulièrement neutre et stable, la Honda possède une petite tendance à embarquer son pilote plus «large» dans les virages, masse plus importante oblige. En courbe, on peut, par contre, «taper» dans les freins, la moto ne se relève pas. Quant aux suspensions, assez souples, elles «pompent» davantage que les autres mais la moto ne se désunit nullement. Accordons une dernière mention positive à l'onctueuse boîte de cette Crossrunner et au freinage aussi docile que performant.

Petite sœur

Dès les premiers tours de roue, la Tracer ne peut cacher sa filiation directe avec la MT-09 et son ADN de roadster. Coupleux de 3.000 à 8.000 tours, le CP3 laisse parler toute sa rage au-delà. Il peut même pousser tellement fort que l'on oublie parfois qu'il s'agit «seulement» d'un 800cc. Ce bloc nous offre également trois cartographies (A, STD et B), les mêmes que sur le roadster mais avec un caractère plus lissé grâce à un ride-by-wire mieux étudié. La A propose une réaction plus rapide et un peu plus sèche à la poignée des gaz, la STD sera la plus agréable à utiliser dans la majorité des cas et la B, qui délivre toute la puissance moteur mais de façon plus douce, conviendra parfaitement pour les jours de pluie. Vive, légère et maniable, avec un centre de gravité très bas notamment grâce à son échappement positionné de façon centrale, la Tracer se régale dans le sinueux et pour lui coller au train, ses concurrentes devront se cracher dans les mains. Mais ce tempérament fougueux connait une limite: un train avant plutôt nerveux, une tendance à se redresser plus vite au freinage (mordant) et une stabilité plus mesurée en appuyant à peine de la pointe des pieds sur les repose-pieds, la moto se dandine déjà. Et à partir de 160km/h, son train arrière commence à flotter.

Pousse au crime

Quand on démarre la Turismo, le premier constat est… sonore. Le trois cylindres fait parler sa voix rauque et sportive mais toute la machine se voit prise de tremblements. Ces vibrations et ce tintamarre disparaissent toutefois dès que l'on saisit l'embrayage. Deuxième surprise, ce dernier prend essentiellement en fin de course et se révèle délicat à doser. Heureusement, MV a prévu un shifter d'assez bonne facture à la montée comme à la descente des vitesses. Sous 3.000 tours, le trois pattes italien ne se montre pas toujours à son affaire et cogne un peu. Au-delà, 90% du couple est disponible jusqu'à 10.000 tours. Autant dire que vous pouvez voir venir avec une plage d'utilisation aussi large. Une machine sportive un peu «pousse au crime» comme on les aime et qui ne rendra pas les armes face à la Tracer car elle aussi se révèle très agile, notamment sur les changements d'angles! La Turismo Veloce se montrera parfaitement stable, y compris à haute vitesse, si l'on prend la peine de durcir quelque peu fourche et amortisseur. Niveau réglages toujours, soulignons que cette MV bénéficie de 4 mappings (Sport, Touring, Rain, Custom). En outre, le contrôle de traction et l'ABS peuvent se paramétrer sur… 8 niveaux tandis que le pilote pourra personnaliser la sensibilité de la poignée de gaz, le couple moteur, la réactivité du freinage ou encore la montée en puissance du moteur en optant pour certains préréglages! Intéressant pour certains, à y perdre son latin pour d'autres.

La facture

Bon, il est à présent temps de parler d'argent. Et, inévitablement, serions-nous tentés de dire, on va encore se fâcher avec les Italiens… On le sait, l'offensive MT de Yamaha s'est notamment distinguée par le prix très serré des 07 et 09. La Tracer n'est pas l'exception qui confirme la règle. 10.690€ pour une moto de ce calibre, c'est une véritable affaire. Vive les économies d'échelle grâce aux déclinaisons thématiques d'une même base. Car pour ce prix, vous avez droit à un moteur de feu, à un bon châssis, à du confort et à l'électronique indispensable, et plus que suffisante, de série (ABS, contrôle de traction et trois cartographies). Notre moto d'essai était équipée de quelques options: un set de coffres latéraux semi-souples facturé 565€, une protection moteur à 206€ et un porte-plaque à 125€. Facture finale: 11.586€. La béquille centrale étant, par contre, de série. De base, la Crossrunner est vendue à 12.625€, également avec TC et ABS de série, les poignées-chauffantes mais une seule cartographie moteur. Et pour notre moto d'essai, ajoutez-y les valises (29l.) à 794,99€. Total: 13.419,99€. On reste dans les limites de l'acceptable.

Pour vous offrir la Turismo Veloce, vous devrez d'abord boucler un sérieux budget: 15.990€… sans les valises! Oui, vous avez bien lu. Et pour bénéficier de 2 fois 30 litres de rangement, rajoutez… 850€! Une ardoise très salée qui, à part un shifter et le cruise control de série, ne vous apportera pourtant rien de plus que la Tracer (ABS, TC et mappings sont de série). Pourtant, MV Agusta procède, tout comme Yamaha, à des économies d'échelle puisque le moteur qui équipe la Turismo Veloce, pour ne parler que de lui, est le même 3 cylindres de 800cc que l'on retrouve sur la Brutale, la Dragster, la Rivale ou la Stradale! Pour cet essai, nous avons bénéficié de la version Edition 1, équipée des valises d'une béquille centrale, de poignées chauffantes, d'un kit de navigation et du Garmin zümo 390). Signalons encore qu'une version Lusso, équipée de suspensions semi-actives fait encore plus fort dans les tarifs: 17.790€! Au rayon des entretiens, vous passerez un petit peu plus vite voir votre concession Yam (10.000km) que Honda (12.000km) ou Agusta (15.000km). Par contre, votre pompiste préférera la VFR800X et la Turismo Veloce, dans un mouchoir de poche avec des consos moyennes respectives lors de notre essai de 6,71l/100km et 6,69l/100km face aux 5,73l/100km de la Tracer.

Conclusion

En grossissant (un peu) le trait, on pourrait écrire qu'avec la Crossrunner, Honda a fait du fonctionnel pur et dur. Avec la Tracer, Yamaha surfe sur la vague Fast and Furious. Et avec la Turismo Veloce, MV Agusta prolonge l'art du design italien sans trop se soucier de certains détails. Si l'on se focalise sur le caractère de nos trois machines, un motard sportif qui trace souvent la route, part de temps en temps en week-end, même éventuellement en duo, pourra hésiter longtemps avant de signer son bon de commande pour une Tracer ou une Turismo Veloce. Si vous privilégiez le confort général et la polyvalence, que vous appréciez une finition de qualité, que vous aimez une moto sage et que vous ne regardez pas à un kilo près, alors la VFR800X Crossrunner vous apportera grande satisfaction. Mais tout cela, c'est sans parler… pognon. Et à moins que vous n'ayez la grande chance de bénéficier d'un budget illimité, les choses vont vite changer! Pour des performances et un agrément similaire à la Yamaha, la MV Agusta coute… 50% de plus! Une paille qui risque fortement de refroidir plus d'un amateur! La Honda se révèle nettement moins chère que la MV mais reste quand même plus de 2.000€ plus onéreuse que la Yamaha et 20%, ça peut aussi faire la différence si le portefeuille a le dernier mot. Forte de ses nombreuses qualités et avec un tarif plus qu'attractif, la MT-09 Tracer sort gagnante de ce comparatif.


Le duo: match (quasi) nul!

L'avantage d'un essai dynamique réside, notamment, dans le fait qu'il objective vos a priori. «La Honda va remporter haut la main cette épreuve duo et la MV va s'écraser», pensions-nous. L'avis de notre passager, et le mien en tant que pilote d'équipage fut, finalement, nettement plus nuancé. La MV se classe bien 3e en matière de duo, c'est un fait. Mais l'exercice s'est révélé beaucoup plus agréable que prévu. Malgré un tempérament plus sportif, le passager n'appuie pas du tout sur le pilote et le confort des deux parties reste convenablement préservé. En Turismo Veloce, le duo peut s'envisager sans souci sur des distances raisonnables. Le bilan aurait été excellent si la selle passager n'était située si haut. Il faut vraiment grimper pour s'asseoir dessus. Ensuite, la petite assise ne permet guère de mouvement au passager et avec la découpe des valises et les (très belles) poignées qui lui «poussent» dans les fesses, sa sensation de liberté ne sera pas des meilleures. La selle de la Honda se révèle, et de loin, la plus généreuses, avec des poignées bien larges. Le passager se trouve plus éloigné, ses pieds ne gênent pas le pilote qui ressentira davantage un effet «tapis roulant». Sans garde-boue pour la roue arrière, le dos du passager se verra néanmoins repeint à la première flaque. Heureusement, la présence de valises atténuera ce phénomène. Ce qui pénalise le duo en Crossrunner, c'est, en fait, le dessin sans relief de la selle et ses poignées qui s'affinent malheureusement sur leur extrémité. Le verdict penche donc en faveur de Yamaha car la MT-09 Tracer met le passager un poil plus en confiance. L'ensemble arrière n'est pas le plus irréprochable esthétiquement mais il se révèle parfaitement fonctionnel: la selle présente un petit relief qui empêche le passager de glisser et les poignées, plus  larges et plus reculées, sont mieux disposées. Résultat, inutile de s'agripper au pilote lors des accélérations. Avec cette selle passager «juste bien comme il faut», une excellente maniabilité de la moto grâce à ses suspensions souples et son poids mesuré, la Yamaha s'impose d'une courte tête malgré l'absence, ici aussi, d'un garde-boue décent et un tempérament général pourtant plus sportif que la Crossrunner.


La bagagerie: triste constat…

Nos trois motos du jour sont des routières mais, avec elles, vous voyagerez relativement léger. Dans aucune des trois bagageries un intégral XL ne pourra être logé. Dommage… Cela «passe» presque dans la Honda, déjà beaucoup moins dans la MV et pas du tout dans la Yam. La bagagerie de la Turismo se révèle, et de très loin, la plus belle. Parfaitement intégrée à l'ensemble, elle ne flotte pas, même à haute vitesse. Aussi fine que celle de la Tracer (89cm d'écart maximal de valise à valise), elle ne vous pénalisera pas dans la remontée des files. Par contre, sur notre machine d'essai, de l'eau parvenait à s'infiltrer à l'intérieur et les fixations montraient des signes évidents de faiblesse. En outre, la forme tarabiscotée des valises italiennes ne favorisera pas le rangement efficace de vos effets. Avec une largeur maximale de 99cm, les valises de la Honda sont les moins esthétiques et les plus pénalisantes dans le trafic. Par contre, leur verrouillage se révèle d'une simplicité et d'une efficacité exemplaires. Ce seront aussi les plus fonctionnelles et elles récoltent encore un bon point pour leur finition, avec un tapis de protection intérieur. Celles de la Tracer proposent une housse interne pour préserver le contenus au sec et une petite pochette accueillera vos papiers. Leur texture externe les exposera moins aux traces de bottes. Par contre, les projections s'incrusteront davantage dans la matière. Mais c'est avec la Tracer que vous devrez voyager le plus léger.

Un essai comparatif signé Laurent Cortvrindt avec Philippe Borguet et Bruno Wauters.

Photos Jonathan Godin

Publié dans le Moto 80 #778 de septembre 2015