Bmw K 1600 GT/GTL, la sixième dimension.

Essais Motos Yves Barbieux
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Six cylindres en ligne, c’est le moteur par excellence, celui qui n’a pas besoin de contre-balancier, qui éblouit par son onctuosité, qui enchante par sa merveilleuse mélodie. Six cylindres en ligne, ça vous prend aux tripes, ça vous transporte dans la sixième dimension, celle du rêve… devenu réalité.

Permettez au soussigné ce bref instant de nostalgie. Je venais de décrocher mon permis lorsque Honda lança en 1978 la célébrissime CBX 1000 et son imposant moteur six cylindres en ligne, double arbre à cames en tête, 24 soupapes, tout étincelant et tout fier de ses 105 chevaux qui en faisaient voir des vertes et des pas mûres à sa partie cycle. Dieu qu’elle était belle! Aujourd’hui encore, elle tient dans mon cœur de motard une place à part, même si elle ne reprit pas le spectaculaire échappement six-en-six de la Benelli 750 Sei, qui devint la 900 Sei avant de s’éteindre dans un silence désolant. Kawasaki remit une dernière fois le couvert avec sa Z 1300 à refroidissement liquide. Et puis, plus rien.

Il aura fallu attendre 30 ans avant qu’un constructeur ne se relance dans l’aventure du six cylindres en ligne. Un constructeur courageux en ces temps difficiles. Ce constructeur, c’est BMW et ce n’est pas un hasard. En effet, la marque bavaroise (même si elle fabrique toutes ses motos à Berlin) peut se targuer d’une solide expérience du six cylindres en ligne au sein de sa branche automobile. Elle a donc logiquement puisé dans ce réservoir de savoir-faire pour développer le moteur de la future K 1600, une tâche confiée à Wolfgang Mattes, transfert direct de la division voiture vers celle des deux-roues.

 

Orfèvrerie

Dès lors que la décision de lancer une moto six cylindres fut prise, BMW décida également d’utiliser ce bloc moteur pour plusieurs modèles, probablement pour mieux amortir l’investissement de son développement que l’on dit considérable. Présenté en avant-première dans une partie cycle sportive, c’est pourtant en costume grand tourisme qu’il veut séduire le grand public. Un habit qui se décline en deux versions: en GT plutôt dynamique pour remplacer à brève échéance la K 1300 GT, en GTL plus luxueuse pour reprendre le flambeau de la K 1200 LT.

Bien que conçues pour un public légèrement différent, la K 1600 GT et sa consœur la GTL sont dotées d’un ADN technique absolument identique: un six cylindres en lignes de 1.649cc, refroidi par liquide, disposant de deux arbres à cames en tête creux pour gagner du poids, 24 soupapes et alimenté par injection électronique avec gestion moteur numérique. Ce moteur développe la bagatelle de 160 chevaux à 7.750tr/min et dispose d’un couple de 175Nm à 5.250tr/min dont 70% répond présent dès 1.500 tours.

Cette belle mécanique un peu trop enveloppée par le carénage intégral de la belle teutonne, est un chef-d’œuvre digne des meilleurs orfèvres. Jugez plutôt: grâce au choix d’un moteur avec une course relativement longue (67,5mm pour un alésage de 72mm) et un écart de 5 millimètres seulement entre les chemises des cylindres, grâce également au placement de la boîte de vitesses à trois arbres et six rapports ainsi que l’embrayage servomécanique à commande hydraulique, l’alternateur et même de la réserve d’huile moteur (graissage intégré à carter sec) derrière la rangée de cylindres, la largeur totale du bloc est de 555mm, soit seulement 45mm de plus que le quatre cylindres de la K 1300 pour un poids total de 102,6kg! On ne peut qu’applaudir.

Ce moteur n’est pas seulement l’élément propulseur de la K 1600. Il joue également un rôle prépondérant dans la stabilité de l’ensemble en reprenant une architecture typique pour la série K, c’est-à-dire en positon basse, fortement incliné vers l’avant (55 degrés) et en plein cœur du cadre périmétrique en alliage léger.

Mais 160 chevaux ne se laissent pas dompter si facilement. Pour venir en aide au pilote, BMW a prévu une gestion électronique qui adapte le caractère du moteur au style de conduite et/ou aux conditions météorologiques. En mode “Rain” (pluie), la puissance et le couple sont délivrés de façon linéaire. Le mode “Road” (route) met à disposition 100% du couple mais il évite encore les accélérations résolument viriles du mode “Dynamic”.

 

Journée d’étude

Changer la cartographie se fait d’une simple pression sur un bouton situé près de la poignée de gaz électronique, dite “ride-by-wire”. Ceci nous amène tout naturellement au chapitre important des nombreuses possibilités d’adaptation de la K 1600 GT/GTL aux désirs de ses utilisateurs. Croyez-moi, avant de goûter aux plaisirs de la route au guidon de votre nouvel engin, installez-vous confortablement au poste de pilotage pour une journée d’étude bien remplie.

Vous avez devant vous un tableau de bord inédit avec, entre les compteurs vitesse et compte-tours d’apparence classique, un écran couleur TFT de 5,7 pouces qui reprend toutes les coordonnées de l’ordinateur de bord ainsi que les différents réglages que vous pouvez modifier grâce au nouveau Multi-controller, une mollette qui, conjugué à quelques boutons, vous change votre moto du tout au tout.

Outre le mode de conduite, vous pouvez ainsi adapter le tarage électronique des combinés ressort/amortisseur ESA II (option fabrique) à vos souhaits et au chargement de la moto. Vous pouvez choisir l’intensité du chauffage des poignées et de la selle (5 positions, 2 positions indépendantes pour la selle passager). Vous réglez toute votre installation audio (avec connexion USB/mp3 et iPod, en option sur la GT), vous pouvez actionner le régulateur de vitesse et vous pouvez adapter le réglage du phare au Xénon à une conduite à droite ou à gauche. Vous pouvez même agir sur votre GPS, tout cela sans jamais lâcher le guidon, fût-ce d’une seule main. On en oublierait presque que cet écran vous rappelle également kilométrages total et partiel (2x) parcourus, qu’il peut vous dire quelles sont les coordonnées géographiques de l’emplacement où vous vous trouvez, qu’il vous alertera en cas de perte de pression de pneu si vous avez ajouté l’option RDC.

En parlant du GPS, notons que si vous en équipez votre K 1600 GT/GTL, il ne sera plus nécessaire de retirer le navigateur chaque fois que vous garez votre moto quelque part. En effet, le pare-brise bien entendu réglable électriquement en hauteur, se remet en position basse dès que l’on coupe le contact. La vitre vient ainsi bloquer l’orifice dans lequel il faut glisser votre Navigator IV. Orifice dans lequel est naturellement prévu un contacteur pour maintenir ledit GPS en charge. Dès que vous reprenez la route, le pare-brise reprend la dernière position demandée.

Il est impossible de décrire ici l’entièreté du système électronique qui équipe la K 1600 GT/GTL. Mais, ne fût-ce que pour vous donner une idée de sa complexité, sachez qu’en comptant le système de control de traction (option), l’ABS et l’alarme antivol (avec verrouillage central des espaces de rangements en option), 14 boîtiers électroniques sont interconnectés et peuvent ainsi échanger leurs données entre eux!

 

Deux airs

Mais maintenant, maestro, music please! Laissez-vous emporter par la symphonie inimitable du six cylindres. Le son produit par la BMW K 1600 GT n’est peut-être pas aussi feutré que celui d’une Honda Gold Wing. Il est plus rauque et n’est pas sans rappeler certains six-en-un produits jadis pour la CBX 1000. L’échappement de la GTL quant à lui nous fait entendre une sonorité un peu plus grave, plus discrète. «Sur ce type de moto, on peut imaginer une écoute plus assidue de l’installation audio montée ici de série. On peut également imaginer une utilisation en duo plus fréquente et par conséquence le fait que pilote et passager voudront plus fréquemment échanger quelques mots», nous explique un responsable BMW.

Il est vrai que la GTL incite moins à l’attaque que la GT. Déjà, la selle n’atteint que 750mm de hauteur (780mm pour la selle haute), contre 810/830mm (780/800mm avec selle basse) sur la GT. Le guidon plus en arrière et les pose-pieds confort plus en avant de la GTL redressent le pilote, alors que sur la GT, il est assis plus vers l’avant pour avoir un contact plus direct avec la direction de la moto. Le pare-brise de la GTL est plus large et légèrement bombé, alors que sur la GT, une découpe centrale donne plus de sensation au pilote. Enfin, si les deux versions reçoivent d’origine des valises latérales amples et faciles à l’emploi, seul le passager de la GTL profite du large dosseret de top case livré d’origine, cet équipement (avec un dosseret moins large) faisant partie des options pour la GT.

 

Rythme endiablé…

C’est au guidon de la GT que BMW nous convie à un premier galop d’essai dans les vignes et montagnes de Franschhoek, la deuxième capitale viticole d’Afrique du Sud. La sortie du parking de l’hôtel effectuée à pas d’homme rappelle à votre bon souvenir les 319kg en ordre de marche (sans valises) de la machine qui exigent une attention certaine. On n’ose imaginer devoir pousser la K 1600 hors d’un emplacement de parking en pente, vu l’absence d’une marche arrière…

Heureusement, dès que la vitesse augmente, cette sensation d’embonpoint disparaît comme par enchantement. Et ce n’est pas une façon de parler. Dans les premiers virages, on est surpris par la vive réaction de la direction à la moindre sollicitation. A tel point qu’au début, une petite correction n’est pas chose rare. De toute évidence, la centralisation des masses a fait l’objet d’une étude très poussée. En confiant en plus le train avant au système Duolever et la roue arrière au Paralever dont il est inutile de rappeler la rigueur et la stabilité, BMW a réussi un pari incroyable: donner à sa K 1600 une réelle sensation de légèreté!

Aussi est-ce sans la moindre appréhension que nous lançons la GT à l’assaut du Franschhoek Pas, crête montagneuse qui sépare le monde de la vigne et celui des arbres fruitiers avec un assortiment de virages à vous faire tourner la tête. Le moteur chante sa joie au travail, surtout en mode de conduite “Dynamic” qui lui confère une réponse très prompte aux sollicitations de la poignée de gaz. Souple et velouté à bas régime, le six cylindres avoue néanmoins une légère préférence à rester au-dessus de 3.000tr/min dans les rapports supérieurs. Mais dès que l’aiguille du compte-tours dépasse le chiffre 5, le moteur s’envole avec un bonheur que seul vient arrêter le limitateur en début de zone rouge. La boîte six rapports n’est peut-être pas très rapide, mais la course du sélecteur est courte et précise et la transmission acatène brille par sa discrétion. Le freinage avec ABS est (très) puissant tout en restant très dosable. Il est aussi semi-couplé ce qui permet de corriger avec le seul frein arrière la trajectoire en courbe en cas d’abus d’optimisme.

Sous le soleil brûlant de l’été austral, le rythme augmente vite au fur et à mesure que s’enfilent les virolos plus serrés les uns que les autres. C’est ici que l’on se rend compte qu’une K 1600 GT demande un peu plus d’efforts qu’une R 1200 RT dans les changements rapides de direction style “pif-paf”. Mais même lorsque, suspensions réglées en mode “Sport”, les repose-pieds tracent leur empreinte dans l’asphalte, la stabilité ne fait jamais défaut.

Au détour d’une ligne droite, notre BMW K 1600 GT affiche 260km/h compteur en pointe, ce qui démontre le potentiel immense de ce moteur. La BMW K 1600 GT remplit amplement son contrat. Elle peut se montrer docile et souple, mais elle est également (et surtout) capable d’atteindre des moyennes très élevées sur de longs trajets variés tout en offrant un confort de haut niveau.

 

… et effet de salon

C’est incroyable combien un changement d’ambiance peut transformer une seule et même personne. Au lendemain de notre essai plutôt poignée dans le coin avec la GT, le passage à la GTL et son environnement plus typé salon nous inspire plus de modération. Pourtant, le même six cylindres est de la fête avec son potentiel inchangé et ses multiples possibilités de réglages, sauf pour la hauteur de selle…

Seulement voilà, on est assis sur un siège qui semble plus moelleux. Le pare-brise offre une protection au vent encore à la hausse et il est difficile de résister à la tentation d’écouter un air de musique, que ce soit du Johnny Clegg, du Mozart ou du Bon Jovi bien rythmé. Du coup, on se surprend à préférer le mode de suspension Normal, voir Comfort plutôt que le Sport pourtant toujours aussi efficace. On accepte sans broncher le léger temps de réponse de la poignée de gaz ride-by-wire lorsque la cartographie moteur est en position Road. Seul l’infatigable soleil africain nous empêche de pousser le vice jusqu’à essayer pendant plus de 10 kilomètres la position Rain qui muselle le six cylindres d’une façon presque pénible.

Franchir le Franschhoek Pas dans l’autre sens nous incite à plus de vélocité, le temps de quelques épingles et d’une séance photo. Comme sa consœur la GT, la GTL ne bronche pas, même si les repose-pieds touchent le revêtement de la route plus vite. Est-ce dû à une garde au sol en légère régression par rapport à la GT? Ou est-ce sous l’influence des 30 kilos supplémentaires de la GTL? Un peu les deux, probablement. Mais ici aussi, la stabilité de la moto n’est jamais prise en défaut et le moteur met toute sa souplesse au service d’une conduite plus coulante.

 

Conclusion

La BMW K 1600, qu’elle soit en version GT ou en GTL, met dans le mille. Son moteur magique et sa finition hors pair en font une moto exceptionnelle. Elle est d’ores et déjà promise à un bel avenir (voir l’interview de Hendrik von Kuenheim) nonobstant son prix, disons, musclé: à partir de 20.800€ pour une GT, 22.850€ pour une GTL de base. Et BMW ne serait pas BMW si la marque ne proposait un large assortiment d’options parfois uniques, comme le fameux phare au Xénon adaptatif (voir encadré) ou un surprenant jeux de silencieux Akrapovic, et nombre d’accessoires qui portent rapidement l’addition à des valeurs prohibitives pour beaucoup de motards. Si je gagnais au Lotto, j’opterais pour la GT et son caractère plus dynamique. J’ajouterais un top case et l’ESA II. Mais la majorité des clients belges qui ont déjà commandé leur KT 1600 ont choisi la GTL. En finition “full options”.