Kawasaki 900 Z1 1973: De la vexation naît l’escalade

Classic Bruno Wouters
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Novembre 1968, coup de tonnerre à Tokyo! Honda présente sa CB750, coupant l'herbe sous les pieds de Kawasaki qui travaillait sur un projet similaire. Il y aura un avant et un après dans l'histoire de la moto…

Un essai publié dans le Moto 80 n°788 de juillet 2016.

La Honda marque en effet un tournant, en possédant une somme de caractéristiques, certes pas révolutionnaires considérées séparément, mais jamais réunies auparavant sur une même moto. Ajoutez-y en prime une finition irréprochable, une fiabilité rare pour l'époque et un style particulièrement réussi et évocateur avec ses quatre sorties d'échappement, et vous tenez la clé du succès! Pour la plupart, les constructeurs européens n'y survivront pas.

La CB750 fait un tabac, malgré quelques lacunes qui seront facilement corrigées par leurs propriétaires, avec l'aide des équipementiers de l'époque. Les pneus d'origine seront vite remplacés par de meilleurs éléments, idem pour les amortisseurs, des ampoules à iode améliorent l'éclairage, des kits chaîne plus costauds réduisent leur fréquence de remplacement, et le montage d'un deuxième disque rend le freinage plus convaincant. Cette 750 devient la norme!

Consternation et vexation

Mais revenons en 1968. Kawasaki mettait la dernière main à son projet «N600» qui devait donner naissance, en 1969, à sa première quatre cylindres quatre temps. Damned! (Sorry, ma connaissance du japonais ne me permet pas de vous le mettre en VO!) Voilà que Honda grille Kawasaki sur le poteau! Vexé, Kawa remballe sa camelote, surveille de près la CB750 et affûte sa réplique, qui surpassera sur tous les plans son ennemie jurée!

Honda (et Kawasaki avec son projet N600) avaient misé sur 750cc, histoire de damer le pion aux stars de l'époque, les anglaises de 650cc. Il faut faire mieux: ce sera un 900cc que Kawasaki opposera quatre ans plus tard à la Honda. Et ces quatre ans d'écart entre la CB750 et la 900 Z1 seront mis à profit pour corriger tous les défauts de la Honda et procéder à une impressionnante batterie de tests, principalement aux USA avec des «pointures» comme Gary Nixon, Paul Smart et Hurley Wilvert, histoire de présenter un produit complètement abouti à tous points de vue.

On a vu! La Honda est mise KO: à sa sortie, elle était donnée pour 67ch, bien vite ramenés à 65. La Kawa en claironne 82! La CB a conservé une configuration longue course? Le 900 sera un supercarré dont la distribution fera appel à un double arbre à cames en tête, un choix prestigieux que Honda a lui-même popularisé avec sa CB450 mais n'a pas jugé utile d'exploiter sur la CB750 qui se contente d'un simple arbre à cames en tête. Résultat, la 900 Z1 est, à son lancement, la moto de série la plus puissante du marché!

Revanche!

La CB 750 lui rend un bon 10km/h en pointe, et lui concède une bonne seconde aux 400 mètres départ arrêté. Pas de miracle toutefois: plus grande, la Z1 est aussi plus lourde d'une bonne dizaine de kilos. L'Europe découvre la Kawasaki au salon de Cologne, en automne 72, et il faut attendre début 1973 pour la voir sillonner nos routes. Deux coloris sont disponibles: le marron et orange de notre machine d'essai, et une combinaison de vert et jaune. Le moteur, noir mat, est rehaussé d'éclats en aluminium naturel sur les ailettes, la culasse et les carters latéraux. La peinture métallisée est splendide, comme de coutume ces années là, et bien plus flatteuse et audacieuse que celles que nous proposent les mêmes constructeurs aujourd'hui. Un ostentatoire «900 Double OverHead Camshaft» orne les caches latéraux qui surplombent les quatre inévitables échappements.

En 1974, le moteur abandonne le noir, les coloris et les graphismes de la carrosserie changent, ainsi que quelques détails techniques. Il en sera de même pour 1975 et 1976: évolution des couleurs et des décorations, et quelques modifications anecdotiques. La 900 Z1 tire ensuite sa révérence pour céder la place en 1977 à la Z1000. La production totale sur quatre années se limite à environ 85.000 exemplaires, bien loin des 450.000 CB750, toutes versions confondues, produites il est vrai sur près de dix ans!

La modernité de l'époque se remarque un peu partout, avec le témoin d'usure du tambour arrière, la clé de contact entre les compteurs, surplombée d'un orifice prévu pour y ficher le porte-clés, la poignée de maintien passager et le minuscule dosseret qui accueille quelques documents ou des cartes routières, les crochets pour accrocher les casques, la fenêtre dans le carter pour vérifier le niveau d'huile, mais aussi un système de graissage automatique de la chaîne de transmission secondaire. Génial, quand on se rappelle qu'à l'époque, une chaîne faisait péniblement quelques milliers de kilomètres avant de rendre l'âme. Sauf que, dans la pratique, le graissage, plutôt aléatoire, avait une fâcheuse propension à maculer d'huile forcément bien cuite les pots d'échappement…

Pas démodée, la superbike!

Si à l'époque, la 900 Z1 revendiquait le titre envié de machine la plus puissante du marché, elle se donnait malgré tout assez facilement, avec son quatre cylindres d'une remarquable élasticité. Du régime de ralenti à la zone rouge, la Kawasaki offre une plage exploitable de près de 8.000tr/min! Ça pousse sur toute la plage de régime sans discontinuer, l'agrément du quatre cylindres.

Les 82ch ne sont pas ridicules aujourd'hui, mais si la puissance est disponible dès 3.000 tours, il ne faudra pas hésiter à jouer de la boîte pour obtenir de franches relances. La moto, impressionnante à l'époque, rentre dans le rang aujourd'hui: pas du tout intimidante de gabarit, elle met immédiatement son pilote à l'aise, et seul son poids nous rappelle à l'ordre. La partie-cycle, datée, n'empêche pas de se faire plaisir sur un rythme tranquille, et si vous aviez des velléités de titiller les 82ch de la bête, le freinage vous rappellera bien vite à l'ordre! Ça ne freine pas, ça ralentit. Ceci dit, si la 900 freinait comme une moto actuelle, la maigre fourche aux tubes de 37mm (c'est toujours un mm de plus que sur la CB750!) ne résisterait pas et la roue avant se retrouverait vite coincée dans les tuyaux d'échappement!

Bruno Wouters