Yamaha Tracer 900 GT vs Yamaha Niken GT: une roue de plus ou de moins… qu’est-ce que ça change?

Actualités Motos Bruno Wouters
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Ce que ça change? Tout: le look, difficile à assimiler par le motard lambda ; le prix, conséquent ; le poids, respectable ; la consommation, en hausse ; le plaisir de conduite, préservé voire même renforcé. Alors, on craque, ou on ne craque pas?

Bon, d’accord, mettre trois roues à un deux-roues, ça s’est déjà vu, et de diverses manières. Ne parlons pas des side-cars, un peu hors sujet, mais les plus férus d’histoire se rappelleront par exemple la Harley-Davidson Servi Car, produite tout de même de 1932 à 1973 et réapparue en 2009 dans une version moins utilitaire baptisée Tri Glide, maintenant accompagnée par le Freewheeler. Mais il s’agit ici de placer une deuxième roue à l’arrière, et l’engin ne se penche plus dans les virages. Le concept inversé est illustré par le Can-Am, avec une roue à l’arrière pour deux à l’avant, mais ici non plus, l’engin ne se penche pas.

La révolution intervient fin 2006 avec le Piaggio MP3, un scooter avec deux roues à l’avant qui se conduit comme un deux-roues classique, en se penchant dans les virages. Est-ce le MP3 qui donna des idées à Yamaha? Toujours est-il que la marque aux trois diapasons crée, un an plus tard, la surprise avec la Tesseract, une moto hybride (essence/électrique) à quatre roues. Un engin qui se penche en virage, rien à voir donc avec un quad. Il faut attendre fin 2014 et le 01 GEN pour découvrir, presque en même temps que le scooter Tricity, ce qui annonce la Niken.

Si le 01 GEN reprenait la motorisation du TMAX 530, la MTW-9 présenté fin 2015 annonce la couleur: pas de doute, une moto à trois roues viendra bientôt compléter la gamme du constructeur japonais. C’est chose faite avec la Niken, portée sur les fonds baptismaux au salon de Tokyo deux ans plus tard. Perplexité, rejet, intérêt ou encore émoi parcourent la gent motocycliste qui devra attendre le printemps 2018 et les premiers essais de la presse pour apprendre de quoi il retourne. Avec l’apparition récente de la Niken GT, nous avons voulu reprendre le guidon en main et confronter la créature à sa celle qui lui a donné vie, la Tracer 900 GT, pour un voyage de quatre jours à la découverte du département de l’Orne dont nous vous parlerons plus en détail dans notre prochain Hors-Série Évasion.

Convaincre

Ce trip de quelque 1.500km nous donnera l'occasion de juger des qualités de chacune sur tous les terrains et de jauger leurs prétentions respectives au grand tourisme. N’ayant jusqu’ici pas encore eu l’opportunité de prendre le guidon de la Niken, je me posais, comme nombre de motards, beaucoup de questions. Questions teintées, vous l’imaginez, d’un zeste d’a priori… Sur l’esthétique, tout d’abord, bien éloignée des canons de beauté habituellement en vigueur dans le petit monde des deux-roues. Ce qui peine déjà à convaincre sur un scooter a peu de chance de trouver grâce aux yeux des puristes!

Pourtant, le concept passe sacrément bien aux yeux du grand public, autant ébahi que séduit par ce style «Transformers» inédit sur nos routes. Pour avoir vécu une dizaine de jours en compagnie de la Niken, j’avoue revenir un peu sur mes réticences initiales. Sauf quand mon compagnon de route en prenait les commandes et que je le suivais: autant la face avant ne manque ni d’expressivité ni de caractère, autant ces traits sont gommés vus de l’arrière, et on ne retient plus qu’un côté «déambulateur» un peu pathétique…

De la Tracer 900 GT, la Niken reprend la mécanique, enchâssée dans une partie-cycle inédite. Contrairement au cadre de la Tracer qui fait appel à l’aluminium, celui de la Niken est constitué d’un mix de treillis tubulaire en acier, d’acier moulé pour supporter la colonne de direction et de platines en aluminium pour la fixation du bras oscillant composé du même matériau.

Si l’empattement ne change guère (+10mm), la position de conduite évolue fortement, avec des repose-pieds très légèrement reculés, une selle et un guidon plus bas et reculés eux aussi, d’environ cinq centimètres, avec pour objectif une répartition du poids avant-arrière, pilote inclus, équilibrée. Dans la foulée, le guidon s’élargit de 35mm. Pour s’adapter à son nouvel environnement, le bloc CP3 voit son vilebrequin alourdi pour lui donner plus d’inertie, les réglages de l’injection discrètement retouchés et les rapports de transmission modifiés pour compenser la prise de poids qui s’élève précisément à 40kg, tous pleins faits, avec les bagageries respectives fournies de série dans ces définitions «GT» de nos deux machines.

Niken vs Tracer

Rien ne change sur la fiche technique: puissance et couple restent identiques. Si la Tracer GT hérite d’un écran TFT auquel la Tracer n’a pas droit, la Niken GT reprend l’écran LCD négatif de la Niken. Amusant d’ailleurs de comparer les évolutions que le sigle GT implique sur les deux machines. La Tracer y gagne des suspensions nettement plus sophistiquées et efficaces, un écran TFT, des valises rigides aux fixations discrètes, un régulateur de vitesse, des poignées chauffantes et un quickshifter à simple effet (up, pas down), le tout pour un surcoût de 1.500€.

La Niken GT n’a pas droit à autant d’égards, piochant simplement quelques éléments dans le catalogue des accessoires: une bulle plus grande mais pas réglable, contrairement à celle de la Tracer, une selle plus confortable, des poignées chauffantes, une bagagerie semi-rigide avec des supports très «after-market» qui obligent encore à une manipulation pour les démonter, une deuxième prise 12V et une béquille centrale. Le quick-shifter à simple effet et le régulateur de vitesse, présents sur la Niken, sont reconduits mais, contrairement à la Tracer, le régime minimum pour faire appel au quick-shifter est fixé à 4.000tr/min.

La béquille centrale, par contre montée de série sur la Tracer, se voit donc reconduite sur la Tracer GT. Vous suivez? Surcoût pour la Niken GT: 1.000€. Parmi les bizarreries un peu incompréhensibles, notons que les deux moteurs, à peine différents comme nous l’avons vu plus haut, disposent tous deux de trois cartographies qui s’échelonnent de 1 à 3 sur la Niken, tandis qu’il vous faudra opter pour «A», «B» ou «Standard» sur la Tracer… Va comprendre, Charles!

Le contrôle de traction dispose de deux niveaux d’intervention et peut se déconnecter sur les deux machines (à l’arrêt). Bizarrement encore, les commandes au guidon des fonctions varient d’une machine à l’autre, la faute sans doute à l’écran TFT qui se passe de tout bouton, alors que l’écran LCD de la Niken en possède encore deux, en plus des commandes au guidon. Bof bof… Par contre, à l’usage, l’écran TFT n’apporte pas grand-chose en agrément, hormis quelques informations complémentaires. Parmi les variations d’équipement, relevons encore la présence de protège-mains sur la Tracer. La Niken s’en passe mais compense par le positionnement atypique de ses rétroviseurs déviant l’air des mains.

La route

Bon, c’est pas tout ça, mais il est temps de faire les paquets, direction Domfront, Bagnoles, Argentan, Camembert et Alençon! Si les valises semi-rigides de la Niken GT ne paient pas de mine, leurs supports ont le mérite de se montrer un peu plus accueillants que ceux de la Tracer. Fermeture des zips par cadenas, ça fait un peu «cheap» en regard du prix du bestiau. Dans les deux cas, impossible d’y fourrer le moindre casque! Je peux ficeler facilement mon sac complémentaire sur l’amorce de porte-bagage fourni avec les supports de bagagerie de la Niken quand la Tracer GT se contente de deux poignées de maintien.

L’accès à bord de la Niken est facilité par la selle basse, mais bon sang que l’avant se montre massif, avec un paquet de plastiques bruts et sans grâce sous le regard. Et ce n’est pas la forêt de câbles, gaines et durites diverses qui sauve l’affaire (ces bouts de tape bleu électrique, quelle pitié…)! Rien à dire, la Tracer présente mieux, et même son moteur, avec ses carters et sa culasse couleur bronze (uniformément noir sur la Niken…). La Niken se montre malgré tout davantage accueillante, avec sa selle plus moelleuse et une sensation d’espace qui donne le sentiment d’une moto riquiqui quand on repasse sur la Tracer. Logique, vu qu’on se retrouve assis cinq centimètres plus en arrière sur la Niken ! La selle réglable en hauteur de la Tracer sera appréciée des plus grands qui auront les jambes moins repliées que sur la Niken, mais la position plus détendue de la Niken vient en compensation.

Dès les premiers tours de roues, je suis bluffé par l’intuitivité de la Niken, qui se comporte exactement comme une moto classique, certes un peu lourde de l’avant, mais tout à fait naturelle pour une moto de (quand même!) 267kg tous pleins faits, et qui plus est chargée de mes bagages. Bien sûr, à côté, la Tracer fait figure de ballerine avec son gabarit plus compact, accentué par l’effet psychologique du volume imposant de la Niken offert au regard. La curiosité me pousse à viser tout ce que je fuis consciencieusement au guidon d’une moto: nids de poule, plaques d’égout, terre, gravillons, dénivelés et… rien! Il ne se passe rien! La Niken avale tout sans sourciller, sans même que le pilote remarque quoi que ce soit, sans réaction parasite. Nous sommes loin des prestations des scooters à trois roues qui peinent à convaincre un habitué des scooters orthodoxes.

Les sensations

Les kilomètres s’égrènent d’une langueur monotone sur l’autoroute, l’occasion d’apprécier la présence, sur les deux machines, d’un régulateur de vitesse parfaitement bien foutu, et de se sentir presque aussi bien sur une moto que sur l’autre. La selle de la Niken remporte allègrement le match, la Tracer réplique avec des jambes moins repliées. Les bulles offrent à peu de chose près le même niveau de protection, celle de la Niken m’envoie des remous bruyants dans le casque, un inconvénient que je peux légèrement corriger sur la Tracer en l’abaissant: moins de bruit, plus de vent. Les formes imposantes de la Niken protègent un peu plus.

La chance étant avec nous, nous n’avons pas roulé sous la pluie: je me demande toujours si les deux roues de la Niken n’arrosent pas directement les pieds! Rien à dire sur la stabilité des deux machines, impériale. Viennent ensuite les routes, plus virevolteuses et propices au plaisir de conduire. Temps idéal, route lisse comme un billard, la Tracer fait étalage de tout son talent! Décidément très agile, la Tracer enquille les virages avec gourmandise, les transferts de masse sont muselés grâce à la suspension plus rigoureuse différenciant la GT de la Tracer de base, le freinage permet d’attaquer sauvagement, le moteur possède une santé réjouissante et le mode le plus agressif me convient parfaitement, offrant une réactivité immédiate. Bref, je me régale!

Au guidon de la Niken, le poids supplémentaire se ressent, bien sûr, et rend sans doute la machine plus physique dans les enchainements et un poil moins vivace dans les relances, où elle se laisse dans tous les cas de figure distancer par la Tracer. Attention, ça se remarque machines côte-à-côte, le pilote de la Niken voyant chaque fois celui de la Tracer le distancer, mais seul au guidon du trois-roues, vous serez chaque fois enthousiasmé par la santé et les prestations du trois cylindres!

Côté freinage, le mordant un peu moindre de la Niken, toujours dû à son surpoids, est largement compensé par la meilleure adhérence du train avant dédoublé. Dès que le revêtement se dégrade un peu ou fait preuve de moins d’adhérence, la Niken prend sa revanche. Imperturbable quel que soit l’état de la route, le train avant inspire une confiance étonnante, qui transforme complètement la perception de la conduite. Là où, raisonnablement, je rends la main au guidon de la Tracer de crainte de me mettre au tas en perdant l’avant sur un trou, une bosse, des gravillons ou de l’humidité, je continue à y aller franco avec la Niken! Oubliée l’agilité plus franche de la Tracer sur route parfaite! Je continue à m’amuser, et sans doute encore plus, avec cette Niken et son étonnant train avant, bluffé par l’efficacité de celui-ci, et le plaisir, tout à fait «moto» qu’il distille!

Conclusion

Je n’arriverai sans doute pas à convaincre les gardiens du temple, tenants stricts du «une moto égale deux roues», mais j’invite instamment les autres, tous les autres, à passer outre les préjugés et découvrir les capacités routières remarquables de cette étonnante Niken! Le plaisir de conduire est immédiat et aussi intense que pour une moto «classique».

Mais dès que les conditions se dégradent, ne fût-ce que d’un chouïa, la Niken les enterre toutes par la confiance qu’elle inspire. Pour se vautrer, il faudra faire preuve d’un enthousiasme qui tient de l’inconscience ou d’une tendance au suicide profondément ancrée. Alors oui, elle est plus chère et plus lourde ; oui, son physique passe mal chez les motards, mais le plaisir et la sérénité qu’elle procure en toutes circonstances compense sans doute largement ses quelques imperfections, dont la finition désinvolte de certains détails…

NIKEN GT

Les up

– Qualités dynamiques amusantes et rassurantes

– Comportement naturel d’une moto

– Confort global

Les down

– Poids élevé

– Esthétique particulière

– Finition de certains détails perfectible

Consommation mesurée: 5,9l/100km

Prix de base: 15.999€

TRACER 900 GT

Les up

– Moteur toujours aussi expressif

– Rigueur du comportement

– Attrait de la version GT

Les down

– Selle dure

– Quick-shifter peu convaincant

– Écran TFT sans grand intérêt

Consommation mesurée: 5,1l/100km

Prix de base: 12.499€