BMW K 1600 GTL – Plus, ce serait trop… Non?

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Un essai intégral, signé Bruno Wouters avec des photos de Jonathan Godin, paru dans le Moto 80 #871.

BMW ne s’est jamais contenté de demi-mesures, ce qui nous vaut depuis pas mal d’années un paquet de machines rarement modestes, mais toujours abouties. La K 1600 fait partie de celles-ci et, remise à niveau régulièrement, ne subit guère les outrages du temps…

Douze ans ! Douze ans déjà, que les K 1600 brillent au sommet de la gamme proposée par BMW Motorrad. Alors, oui, les R 18 cubent 153 cc de plus, mais leur twin de 91 ch ne peut que s’incliner en face du six cylindres en ligne des K 1600 qui offre 160 ch, soit près du double. Il n’y a qu’au niveau du poids que les machines font quasiment jeu égal : 358 kg pour la K 1600 GTL, 365 kg pour la R 18 Classic… Ah ! Oui, quand même… Pour vous situer, la R 1250 GS Adventure, qui n’a rien d’une ballerine, avance 268 kg dans les mêmes conditions, soit tous pleins faits. Un vrai sujet, donc, nous y reviendrons.

Benelli, one point

Un petit retour en arrière s’impose. Hormis quelques rares V8, comme l’emblématique Moto Guzzi V8 vue en compétition en 1955, le six cylindres constitue une forme d’aboutissement motocycliste, d’une grande rareté, vous vous en doutez ! Fort de son étonnante RC166 250 cc à six cylindres avec laquelle Mike Hailwood remporta en 1966 le championnat du monde, Honda sortit en 1978 la CBX 1000 dont on ne voyait que les six cylindres suspendus au cadre. Comme pour la Z900, réponse de Kawasaki à la CB 750, la réplique vint un an plus tard avec la Z1300 refroidie par eau… Rendons à César ce qui est à César : le premier constructeur à avoir osé le six cylindres sur une machine de production s’appelait Alessandro de Tomaso et la machine Benelli Sei. Rendons encore à César… : le bloc de la Sei s’inspirait furieusement de celui de la CB500 Four auquel seraient adjoints deux cylindres ! Honda enfoncera encore le clou avec l’éblouissant flat 6 de la Gold Wing, une merveille qui nous fera à jamais regretter la frilosité du constructeur nippon qui n’osera pas concrétiser son excitant prototype de roadster six cylindres, baptisé EVO 6. Celui-là, je vous jure que j’aurais explosé ma tirelire pour l’avoir dans mon garage ! BMW reprend le concept du six en ligne en 2011 avec deux grandes routières : la GT et la GTL. Ceux qui, comme moi, salivaient déjà à la vue du Concept 6 de 2009 en resteront pour leurs frais… Du café-racer, nous en sommes arrivés à un luxueux tourer !

Cercle très fermé

Aujourd’hui, les amateurs de six cylindres n’ont plus grand-chose à se mettre sous la dent : hormis les rares Horex VR6 ou l’encore plus insolite et exotique Midalu V6, il ne reste plus que les Gold Wing et les K 1600, toutes clairement orientées vers le grand tourisme. Et de grand tourisme, il en est clairement question avec la K 1600 GTL. Si la K 1600 GT peut encore, avec un peu de bonne volonté, pencher vers le sport tourisme dans l’esprit des défuntes K 1300 GT, la GTL vise la Gold Wing, comme le fit en son temps la K 1200 LT. Dans un registre plus custom et avec l’évidente volonté d’aller piétiner les plates-bandes d’Harley-Davidson et d’Indian, n’oublions pas les K 1600 B et Grand America. Du style, mais un agrément en retrait face aux GT et GTL. Pièce maîtresse, le bloc six cylindres en ligne né en 2010 reste le plus étroit des motos de production, avec 555 mm et un poids de 102,6 kg pour 1.649 cc.

Les K 1600 ont connu leur première mise à jour majeure avec le millésime 2017, lors du passage à la norme Euro4. Les normes se suivent, les mise à niveau aussi, c’est ainsi que fin 2021, BMW s’est repenché sur ses flagships avec le passage à la norme Euro5. On peut dire que les Teutons maîtrisent, car le six se montre toujours aussi réussi. La puissance maxi n’a pas bougé, mais elle s’obtient 1.000 tr/min plus tôt qu’auparavant, à 6.750 tr/min. La zone rouge est calée à 8.500 tr/min, de quoi laisser le « six » s’exprimer en toute quiétude (en toute fureur !). Le couple, déjà généreux, gagne encore 5 Nm pour culminer à 180 Nm au régime de 5.250 tr/min. Ces évolutions moteur sont principalement dues à l’utilisation d’une commande moteur BMS-O, de deux capteurs de cliquetis et de deux sondes lambda à large bande supplémentaires. Le contrôle dynamique du frein moteur (MSR) fait également partie de la dotation de série. Ce système électronique empêche la roue arrière de glisser à la suite d’une accélération trop soudaine ou d’un rétrogradage brusque et permet d’éviter des situations de conduite d’autant plus délicates que la K ne s’apparente pas vraiment à un vélo.

De l’électronique intelligente

La suspension électronique BMW Motorrad Dynamic ESA « nouvelle génération » des nouvelles BMW K 1600 progresse encore : l’amortissement est automatiquement adapté aux conditions de conduite ainsi qu’au type de pilotage et intègre, de série, un système de compensation de charge entièrement automatique, grâce à la présence d’une centrale inertielle à six axes et de deux capteurs de déplacement à l’avant et à l’arrière.

Nettement plus visible, le regard de la K1600 a complètement changé avec l’adoption d’un éclairage full LEDs et son inévitable signature lumineuse. Adieu, les yeux de hibou ! De série (on va le dire très vite, tant c’est rare chez notre constructeur germanique !), les feux de croisement pivotent et éclairent le virage en fonction de l’inclinaison de la moto. Sur l’ancienne génération, avec xénon et miroirs, l’angle maxi était limité à 24° ; on passe ici à 35°. Les courbes sont alors ainsi presque entièrement éclairées car le faisceau de lumière éclaire là où la moto se déplace. En outre, l’ensemble des feux pivotent verticalement sur une amplitude de plus ou moins deux degrés pour compenser les phases de freinage et d’accélération et assurer un éclairage optimal en toutes circonstances. Marrant, c’est ce que faisaient déjà les Citroën DS en 1968… Notre machine bénéficiait en prime de phares additionnels fixés en bas du tablier et d’un très chic éclairage de sol, à vous pour la modique somme de 90€, qui vient compléter la batterie de fonctions « Welcome Light », Good bye Function » ou encore « Follow me Home »…

Grand écran

Autre « big » nouveauté de ce millésime, l’inévitable dalle TFT couleur de 10,25 pouces avec navigation intégrée et connectivité étendue. De série encore sur la GLT, le système audio 2.0 avec radio DAB. Le tout se commande via le désormais bien connu multi-controller et un basculeur haut-bas. Après, on commence à se balader dans les divers chapitres : mon véhicule, navigation, radio, médias, téléphone, réglages, chacun d’eux avec leurs sous-menus et leur arborescence plus ou moins logique et intuitive (pas toujours, en fait…). Certaines aberrations (genre je me mettrais bien les poignées chauffantes, moi…) hors d’atteinte sans une navigation fastidieuse parmi les menus seront compensées par les quatre boutons d’accès rapide sur le retour gauche du carénage. Ces quatre boutons « favoris » peuvent être assignés aux fonctions de votre choix parmi dix-huit possibilités… Ouf !

La connectivité avec le smartphone est particulièrement développée. Bien sûr, vous pouvez écouter votre propre musique, mais aussi, via des oreillettes et un micro dans le casque, converser au téléphone. Mais, surtout, grâce à votre smartphone et à l’application « BMW Connected app », téléchargeable sur les Google et Apple stores, vous pourrez bénéficier de la navigation, une fois les cartes ad hoc téléchargées. Quelques « goodies » en prime, bien entendu, comme l’enregistrement des données du trajet parcouru (date et heure, distance parcourue, durée du trajet, vitesse moyenne et maximale, régime moteur maxi, angles d’inclinaison maxi gauche et droit, accélération et décélération maximales, températures minimales et maximales, altitudes minimales et maximales et bien sûr le tracé du trajet).

En prime des graphiques et des tableaux de bord dignes des infos affichées sur l’écran de votre télé lors d’un MotoGP : bluffant et très amusant ! Afin de pouvoir exploiter au mieux cette connectivité, un astucieux emplacement est prévu pour ranger le smartphone : un compartiment étanche et ventilé au sommet du tableau de bord, avec un port d’alimentation USB-C. Quand le contact est coupé, la bulle électrique redescend en position basse, verrouillant de facto le compartiment. Au fait, quand vous remettez le contact, la bulle reprend la position précédente, gardée en mémoire !

Too much, trop bon

Plutôt fan de la K 1600 GT, j’ai facilement tendance à regarder la GLT avec une certaine condescendance : son embonpoint se lit sur son visage, son fauteuil pouf au ras du sol, sa position de conduite « papy » ne m’inspirent guère. Et pourtant ! Au fil des kilomètres, les qualités bien réelles de la machine se dévoilent. Normal : hormis la position de conduite, avec une selle à 750 mm du sol contre 810 ou 830 mm pour la GT et un surpoids de 15 kg par rapport à cette dernière, rien ne différencie les deux machines. Et si la GLT incite moins à l’attaque que la GT, elle s’acquitte parfaitement du job. Lourde à l’arrêt, la K 1600 fait oublier son poids une fois en mouvement. Le moteur, très incliné, maintient un centre de gravité assez bas et la selle, très basse, met immédiatement en confiance. Le stress des demi-tours sur les petites routes lors des séances photos s’est vite effacé, tant la machine se manœuvre avec aisance. Bon, quand il s’agit de la rentrer et de la sortir du garage, c’est un peu plus chaud ; la marche arrière facilite la vie, mais manque un peu de vigueur si la pente est trop forte… Toujours réfléchir avant de s’arrêter n’importe comment !

Le comportement routier est tout simplement bluffant. Comme le moteur, il autorise tous les rythmes : cruising coulé sur un filet de gaz, conduite plus enlevée avec exploitation de ce fabuleux moteur, tout lui va. Le mode de conduite « Road » qui influe tant sur la réponse moteur que sur les suspensions correspond parfaitement à l’esprit de la GTL dans quasi tous les cas de figure. Le mode « Dynamic », plus réactif, privilégie des lois d’amortissement plus fermes si l’envie d’en découdre pointe. Dans les réglages de la moto, il est aussi loisible de privilégier l’une des deux lois d’amortissement, Road ou Dynamic, indépendamment du mode de conduite. Ces suspensions constituent sans conteste un des points forts de cette machine : il n’y a aucun réglage à faire, tout est géré automatiquement, y compris la précharge. Vous roulez seul ou en duo, chargé comme une mule, vous roulez vite ou calmement, la moto s’occupe de tout. Le progrès ainsi, je signe des deux mains !

Le détail qui fâche             

Le progrès comme le propose BMW avec sa connectivité, j’y mettrais bien le feu ! Messieurs, arrêtez de nous prendre pour des billes et de nous vendre pour de la modernité vos économies de bouts de chandelle. Remettez-nous un GPS, un vrai, et cessez de nous masser avec vos apps intégrées au smartphone ! D’abord, pour la plupart, ils ne rentrent pas dans le rangement prévu… C’est devenu grand, un smartphone, et très long avec le câble de recharge branché. J’ai dû rouler avec le compartiment ouvert, et donc la bulle au plus haut, son extrémité supérieure en plein dans mon champ de vision. Encore heureux, il faisait beau.

Donc, il faut un smartphone, l’App BMW, puis il faut charger les cartes, puis jumeler l’appareil à la moto via Bluetooth ET wifi. Alors, et alors seulement, vous aurez droit à l’affichage de la carte sur le tableau de bord et au guidage. Bien entendu, dès que vous coupez le contact ou que vous employez votre téléphone à autre chose, comme prendre une photo ou utiliser une autre application, commence la galère. La connexion se fait… ou pas ! Et alors ? Ben, il faut sortir le téléphone de son trou, le déverrouiller, rouvrir l’application et/ou les réglages, jurer un bon coup pour que ça marche, tout remettre en place et, avec un peu de (mal)chance, recommencer au coup suivant. Un plaisir, la reconnaissance faciale avec un casque, la manipulation de l’écran avec des gants de moto… Je vous raconte quand il pleut et qu’il fait froid ? John, notre photographe, a pu m’attendre à chaque arrêt, pendant que je bouillais de rage sous mon casque… Heureusement que les géniaux concepteurs de ce procédé ne traversaient pas la route devant moi, je les aurais écrasés (ndlr : second degré on est d’accord), alors que pourtant, le système de freinage arrête avec facilité et en toutes circonstances la masse bien réelle de la moto !

Conclusion

Pas à portée de toutes les bourses et sans doute pas à la portée du premier venu, la K 1600 GTL ne se justifie objectivement pas. On trouvera aisément moins cher et plus facile au quotidien, et il ne faudra pas chercher bien loin : BMW détient dans son catalogue la très réussie R 1250 RT, pour environ dix mille euros et 80 kg de moins. Oui mais ça, c’est sans compter avec la satisfaction de rouler autrement, de profiter d’un moteur à l’agrément exceptionnel que seul un six cylindres peut procurer, avec en prime ce grain de folie qu’un châssis impossible à mettre en défaut autorise : oui, ce six, vous pourrez l’exploiter et c’est tout simplement jouissif ! Ah bon sang ! Pourquoi, mais pourquoi, BMW ne nous propose pas une K 1600 R, dans la veine des défuntes K 1200 et K 1300 R ?

L’humeur du jour 

Chaque fois que je prends le guidon d’un de ces monstres à deux roues, je peste comme un furieux contre leurs concepteurs qui semblent avoir perdu toute mesure, puis, au fil des kilomètres parcourus, je goûte de plus en plus à l’agrément de leur motorisation, à leur côté « too much » mais tellement bon ! Une Gold Wing, une Electra Glide, une Rocket 3, une Diavel ont ce quelque chose en plus que les autres n’ont pas, et ça deviendrait vite addictif. La K 1600 GLT n’échappe pas à cette délicieuse fatalité !