Essai Ducati Multistrada V2 : Métamorphosée!

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Ducati a mis les petits plats dans les grands. La Multistrada V2 n’a pas eu droit qu’à une simple évolution, mais bien à une véritable métamorphose. Nouveau moteur, nouveau châssis, nouvelle électronique, nouveau look, la liste est aussi impressionnante que le résultat saisissant. Et l’indéfinissable plaisir propre aux productions de Bologne d’être toujours présent, rehaussé même, pour notre plus grand bonheur.

Texte Thomas Chignac – Photos Ducati (Alex Photo)

Le cas est suffisamment rare pour être noté. De nos jours, lorsqu’un modèle évolue, notamment question mécanique, le changement s’accompagne systématiquement d’un accroissement de cylindrée. Plus gros, plus puissant, plus coupleux. Le « plus » semble bien être la norme. À l’occasion, nous avons parfois droit à une perte de poids. Question d’efficacité. Mais la cure d’amincissement demeure de l’ordre du passage à la salle de fitness, avec effacement de quelques bourrelets par trop disgracieux… Le programme est totalement différent pour la nouvelle Ducati Multistrada V2. Une fois n’est pas coutume, son emblématique bicylindre en V a visé une forme de décroissance, passant de 937 à 890 cc. Oui, une baisse de cylindrée ! Plusieurs raisons sont évoquées du côté des responsables de la marque pour ce downsizing. L’idée de base était de repositionner de façon plus « lisible » les membres de la famille Multistrada. La différence de cylindrée entre la V4 et ses 1.100 cc (1.158 cc pour être précis) et la précédente V2, laquelle était pourvue d’un 950 cc (937 cc réellement), semblait alors trop faible. Et même si ça peut sembler ténu, l’offre 2025 présente désormais une 1.100 en haut de gamme et une 900 en « entrée » (nous verrons à quel point le terme est ici quelque peu galvaudé) : un écart plus conséquent pour deux produits distincts.

Plateforme mécanique

L’autre point d’évolution concerne la création d’une plateforme mécanique, où ce nouveau V2 sera à l’origine de plusieurs modèles : Multistrada donc, mais aussi Streetfighter et Panigale, lesquelles auront droit à quelques changements internes au bloc, histoire de gagner en performances pures. Leur essai arrive d’ailleurs très prochainement. À terme, il y aura fort à parier que la DesertX ait, elle aussi, droit à ce nouveau moteur. Un concept de partage largement répandu, destiné à générer des économies d’échelle. Il faut également ajouter la nécessité de pouvoir facilement s’affranchir des normes antipollution toujours plus exigeantes : le nouveau V2 passe ainsi EURO 5+ et sera à même d’évoluer vers davantage de restrictions dans les années à venir. Enfin, l’effort consenti par Ducati dans la création de ce nouveau V-twin se retrouve dans ses caractéristiques, et notamment dans sa légèreté.

Affichant 54,9 kg sur la balance, c’est presque 6 kilos de gagnés par rapport à son prédécesseur (5,8 kg exactement). Un gain conséquent qui vient s’ajouter à la vertigineuse cure d’amaigrissement connue par la partie-cycle, puisque cette Multistrada V2 millésime 2025 n’annonce pas moins de 18 kilos de gain en comparaison du modèle 2024 ! Une baisse de poids énorme, essentiellement due à la disparition du fameux cadre treillis en tubes d’acier enserrant la mécanique. Désormais, le moteur devient un élément porteur, étant relié au train avant par une monocoque en aluminium faisant également office de boîte à air. Seul le bâti arrière conserve un treillis en acier, affiné pour l’occasion. Dès lors, le poids annoncé à sec (sans carburant) est de 199 kg pour la version de base et 202 kg pour notre version S d’essai, garnie de ses suspensions semi-actives DSS (Ducati Skyhook Suspension). D’après nos calculs, en rajoutant 19 litres d’essence, on devrait atteindre respectivement environ 213 et 216 kilos, soit des valeurs très avantageuses dans la catégorie.

Moins de cylindrée et de poids, plus de plaisir

La nouvelle Multistrada V2 poursuit sa transformation en arborant un nouveau look, conservant cependant tous les traits si reconnaissables à la famille. Les aficionados ne seront pas perdus et apprécieront sûrement les lignes affinées ainsi que cette indéniable sensation de légèreté. Bien entendu, l’évolution ne serait pas digne si le chapitre électronique n’avait pas eu droit lui aussi à sa séance de remise à jour avec, notamment, une instrumentation repensée, toujours au travers d’un écran TFT couleur de 5 pouces. Impossible de passer ici en revue les innombrables changements, passant de l’affichage à l’ergonomie des différents menus de réglages, mais une chose est sûre : c’est bien plus facile à comprendre et la navigation via le nouveau commodo gauche se veut également simplifiée. Allez, trêve de bavardages, il est temps d’enfourcher la belle et d’aller ressentir les nombreuses vertus promises par tous ces changements.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’impressionnant travail effectué porte instantanément ses fruits ! En premier lieu, l’ergonomie. L’absence de cadre ceinturant le moteur procure une finesse bienvenue à l’entrejambe, autorisant un maintien plus franc, plus sécurisant. Autre point très apprécié, la possibilité de jouer sur la hauteur d’assise sur 2 cm, simplement en basculant de petites cales articulées sous la selle pilote. De 850 mm en position « haute », elle peut être ramenée à 830 mm sans outils, autorisant de facto de très sérieux appuis au sol pour la plupart d’entre-nous. Ducati propose même des selles optionnelles (+/- 20 mm) ainsi qu’un kit de suspensions rabaissées (- 20 mm), permettant de pouvoir atteindre un ridicule 790 mm de hauteur de selle, presque un low-rider ! Mieux : la version S bénéficie, grâce à ses suspensions électroniques, d’un système d’abaissement via la précharge du ressort de l’amortisseur (« Minimum Preload ») permettant de gratter encore 8 mm supplémentaires. Il suffit pour cela de sélectionner ce mode en pressant un bouton dédié à l’index droit, la précharge regagnant sa valeur standard au-dessus de 110 km/h pour des raisons de stabilité. Un système semblable à celui déjà vu sur la grande sœur V4S, mais moins sophistiqué (jusqu’à 30 mm de gain sur la V4S, avec abaissement automatique sous 10 km/h pour un retour à la normale au-dessus de 50 km/h).

La prise en main se montre évidente et l’on profite instantanément du moelleux de l’assise, bien travaillée dans sa forme et autorisant une belle latitude de mouvements avant/arrière. Le triangle selle/guidon/repose-pieds est encore plus ouvert que sur la précédente version, offrant une position sereine et particulièrement agréable. Le nouveau V2 fait honneur au blason Ducati et flatte l’oreille d’un son bien profond à bas régimes. Et nos premiers tours de roues de révéler deux points cruciaux : l’agilité et le tonus du twin. Les 18 kilos gagnés sont instantanément sensibles, tant la Multistrada V2 cru 2025 se joue des évolutions urbaines et péri-urbaines avec brio. Aucun effort n’est réclamé au guidon, elle se laisse emmener du bout des doigts, virevoltant dans la circulation comme sur les ronds-points.

Une plage d’utilisation extra-large

Allié de choix, le nouveau moteur fait étalage de tout le savoir-faire des ingénieurs motoristes Ducati pour coller aux annonces faites lors de la conférence de presse. Car si le couple a été légèrement revu à la baisse en comparaison de son prédécesseur (- 0,2 mkg), 75 % de celui-ci est disponible dès 3.500 tr/min. Une véritable prouesse faisant passer la décrue de cylindrée pour un gain, tant le dynamisme à la poignée est notable, même sur une ouverture de gaz raisonnée. Dès lors, les évolutions dans la partie basse du compte-tours sont un pur régal, profitant à une conduite souple et coulée, mais pas exempte de tonicité. Certes, les amoureux d’originalité mécanique pleureront la perte du fameux système de commande des soupapes Desmodromique et ses courroies latérales, mais force est de reconnaitre que le nouvel accastillage à admission variable, entraînement des soupapes par linguets et ressorts hélicoïdaux et soupapes d’admission à tige creuse a de quoi séduire.

La nouvelle Multistrada V2 offre une plage d’utilisation extralarge, avec un bicylindre capable d’évoluer sans sourciller aux alentours des 2.000 tr/min, même sur les gros rapports, distiller le gras de sa force entre 3.500 et 6.000 puis de se révéler enjoué jusqu’aux 11.500 tr/min de sa coupure d’allumage. Une véritable réussite, un moteur qui répond toujours présent, avec la manière qui plus est. De plus, il trouvera un partenaire de premier ordre en présence du nouveau Quickshifter, dont le mécanisme est désormais directement positionné à l’intérieur de la boîte et non plus sur la tringlerie de sélection : un gage de rapidité et de transparence de fonctionnement, comme nous avons pu le constater, que ce soit à la volée en pleine zone rouge (étonnamment affichée à 10.000 tr/min, alors que les 115 ch sont atteint à 10.750 tr/min) et même en conduite beaucoup plus calme, sur des ouvertures de gaz très faibles : du velours à la montée comme à la descente.

Les gènes sportifs de la marque italienne transpirent de cette nouveauté, qui s’accommode d’ailleurs sans mal d’un pilotage énervé. Surtout dans cette déclinaison S, où ses suspensions semi-actives signées Marzocchi peuvent être facilement raffermies, désormais indépendamment des modes de conduite. Calibrées en mode « Dynamic », le V2 étant lui arrêté sur « Sport », on profite d’une lecture de route parfaite, de mouvements d’assiette mesurés et d’un niveau de confort insoupçonné. Même sous leur loi d’amortissement le plus ferme, fourche et amortisseur absorbent admirablement les imperfections, sans désunir le comportement.

Sport ou Touring

La sérénité reste ainsi permanente, bien aidée par le grip rassurant des Pirelli Scorpion Trail II ainsi que le travail des étriers Brembo à 4 pistons et fixation radiale (disques de 320 mm). Chaque paramètre de conduite peut être adapté selon ses désirs, surtout en optant pour le mode d’affichage « Road Pro » qui s’offre en plus le gadget de l’affichage du niveau de puissance et de couple instantanés (rigolo mais inutile) : modes de conduite, mode de puissance moteur, contrôle de traction, frein moteur, contrôle du Wheeling, niveau d’ABS, le tout sous la gestion d’une indispensable centrale inertielle multiaxe. Fait appréciable, ces modifications peuvent être faites tout en roulant. Il est ainsi très facile de se concevoir deux settings distincts, l’un pour chatouiller l’esprit sportif de la Multistrada et l’autre pour profiter de son haut niveau de confort sur un rythme plus paisible. Là, revenu à davantage de raison, on se régale de la protection dispensée par la bulle d’origine, judicieusement aidée par des déflecteurs latéraux aussi discrets qu’efficaces. Une bulle qui plus est réglable en hauteur avec, n’ayons pas peur de le dire, le meilleur système actuel : une seule main suffit pour la monter ou la baisser, sans effort et sur près de 7 cm. L’efficacité de la protection en position haute apparaît bluffante, même à des vitesses soutenues, sans rencontrer de turbulences ou d’effet de poussée dans le dos.

Et quoi de mieux sur longue distance que d’utiliser le Cruise-Control, livré en série, facilement activable depuis le commodo gauche. Les grands trajets pourront d’ailleurs s’éterniser, le nouveau 890 cc se montrant assez sobre comme nous avons pu le constater, avec 5,4 l/100 km affichés sur l’ensemble de notre parcours pourtant avalé plutôt goulûment (plus de 350 kilomètres d’autonomie à ce rythme). Alors oui, on pourra se plaindre de quelques lacunes d’équipement, surtout à ce prix : il faudra recourir au catalogue des accessoires pour bénéficier des poignées chauffantes tout comme de la béquille centrale, laquelle s’avèrera quasiment indispensable en cas de chargement des valises latérales, elles aussi optionnelles, intelligemment montées sur un système dit flottant afin de minimiser les éventuelles ondulations à hautes vitesses (cet ensemble d’options est d’ailleurs disponible sous la forme du Pack « Touring », vendu 1.246,30€).

Le problème du prix

Dans la même veine, il était ennuyeux de constater quelques défauts de finition, tels ces fils électriques à nu sur le côté gauche du moteur (ainsi que l’entrelacs de durites) ou ces plastiques peu qualitatifs (écopes de flux d’air latéraux) et parfois mal ajustés. Sur ce dernier point, Ducati nous a assuré qu’il s’agissait là de modèles de préproduction, et que ces plastiques et ajustements de carrosserie seront corrigés sur les modèles en concession (à vérifier). Oui, vous pourriez croire que c’est chercher là des défauts où il n’y en a pas vraiment, et c’est vrai que cette nouvelle Multistrada V2 nous a fait vibrer sur l’ensemble de ses prestations, franchement réjouissantes. Mais il convient toutefois de tempérer ces ardeurs à la lumière d’un problème bien réel lui : le prix de vente. 16.490€ en version de base, c’est 3.795€ de plus que la nouvelle Triumph Tiger Sport 800 (12.695€), 3.291€ de plus qu’une Yamaha Tracer 9 (13.199€) et presque 1.000€ de plus qu’une Honda Africa Twin… Pour sa part, la version S s’affiche à 19.190€, soit 2.600€ à mettre en plus pour profiter des suspensions semi-actives, c’est franchement beaucoup (toujours pour comparaison, on est ici juste au-dessus d’une Africa Twin version Adventure Sports à 19.149€…). Alors oui, à ce tarif, on est en droit de se montrer exigeant.

Conclusion

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Ducati ne s’est pas loupé avec ce nouvel opus de la Multistrada V2. Revue de fond en comble, elle est à la hauteur des ambitions de la marque en termes de performances, de confort et de plaisir. Le nouveau V-twin est une réussite, la partie-cycle incisive et équilibrée tandis que l’électronique s’avère parfaitement calibrée. Une montée en gamme côté prestations qui s’accompagne malheureusement d’une montée en prix, pour atteindre des sommets notamment en version S, désormais proche des trails routiers de la gamme supérieure. Métamorphose très réussie donc, mais à quel prix…

LES +
+ Couple moteur omniprésent
+ Sentiment de légèreté
+ Confort général

LES –
– Tarif très élevé
– Lacunes d’équipement… à ce prix
– Quelques finitions

Un essai publié dans le Moto 80 #892 de mars 2025